de l'Art moderne et contemporain by Dictionnaire

Auteur:Dictionnaire [Dictionnaire]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Dictionnaire
Éditeur: Plon
Publié: 2014-10-15T04:00:00+00:00

Johns, Jasper (1930- )

Issu de l’« expressionnisme abstrait », Jasper Johns, peintre et dessinateur américain, prend, en 1955, des objets pour « faire autre chose avec ». Il figure des drapeaux et des cibles, des objets géométriques et symboliques, et confond image et support (Flag, 1955). En 1959, il ajoute lettres et chiffres à ses toiles, opposant les deux signifiants – l’écriture, la peinture. Il est, dans les années soixante, l’un des initiateurs du pop art. Il peint très soigneusement, afin de reproduire parfaitement le modèle, des moulages en bronze et des sculptures en papier mâché d’objets du quotidien. Il fixe des ustensiles sur ses toiles et compose des natures mortes autobiographiques.

« Je crois qu’une peinture doit donner à voir autre chose qu’un simple message intentionnel. En ce qui me concerne, je voudrais maintenir la peinture dans un état d’“esquive du message”, de sorte qu’en fin de compte chacun puisse la percevoir comme il en a envie. »

Des drapeaux, il y en a toujours eu dans la peinture, flottant au vent ou ramenés à des taches de couleurs vives, comme chez Manet, Van Gogh, Dufy… Mais le coup de génie de Jasper Johns, vingt-quatre ans, tout frais débarqué à New York de sa Géorgie natale, c’est d’avoir entièrement renouvelé le thème en faisant de sa toile un drapeau parfaitement adapté aux deux dimensions d’un tableau, sans perspective d’aucune sorte ni trompe-l’œil. Il ne s’agit pas cependant d’un ready-made genre Duchamp destiné, comme on sait, à faire descendre l’art de son piédestal.

S’il avait voulu jouer les Duchamp, il eût suffi à Johns d’entrer dans le premier bazar venu afin d’y acheter un drapeau américain et de l’exposer sans y rien changer. Or son drapeau est à la fois un drapeau et un tableau sans que l’on puisse ni identifier l’un à l’autre ni les dissocier. Pour y parvenir, l’artiste a fait un collage de papier journal recouvert d’une cire liquide dans laquelle il a dissous des pigments colorés. Johns aime que la cire sèche très vite et qu’elle conserve les traces de ses manipulations. L’œuvre est particulièrement troublante, en ces années d’abstraction triomphante, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle représente un objet connu de tous ou, plutôt, elle le présente, hors contexte, en tant qu’objet, sans l’intégrer dans une narration ou une description. Ensuite, elle soustrait à son symbolisme un drapeau éminemment chargé de significations diverses. Entre la brutalité, la puissance et la subtilité extrême, l’image de l’Amérique chavire. C’est, sans doute, ce qui fait du Drapeau de Johns un superbe trompe-l’esprit, en même temps qu’un prétexte émouvant pour montrer la peinture, comme l’avait fait Bonnard, comme le fera Ryman.

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