À table ! by John Wainwright

Auteur:John Wainwright [Wainwright, John]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Éditeur: Gallimard - Série Noire
Publié: 1979-03-14T23:00:00+00:00

CHAPITRE 20

Confier un souci, c’est se décharger d’un fardeau. Lyle avait une quasi-certitude : c’était la première fois qu’Edwina Barker parlait à un inconnu de l’incident survenu à Noël quelques années auparavant. Et elle semblait transformée. Plus détendue. Moins fragile et, de quelque étrange façon, soulagée. Les muscles de son visage étaient moins crispés, ce qui conférait une plus grande douceur à son expression.

Ils en étaient à leur troisième cigarette.

— Un divorce ? suggéra Lyle. Je dirais que l’incident avec Cindy aurait fourni un motif suffisant. Mais, si j’ai bien compris, vous n’y avez pas songé sérieusement ?

— J’aurais aimé pouvoir. (Elle sourit et cette fois son sourire n’était pas teinté d’amertume. Plutôt d’espièglerie.) Cela aurait sérieusement ébranlé sa précieuse « respectabilité ».

— Certainement.

— Mais, vous le savez probablement, il aurait peut-être fallu faire appel au témoignage de Cindy. Il ne m’aurait pas accordé le divorce. Je le connais trop bien pour en douter. Et Cindy ?… je n’aurais pu supporter de lui demander d’expliquer… d’essayer d’expliquer, ce qu’il avait fait. Pour elle, mieux valait que ce soit oublié.

— Mais vous avez continué à vivre avec lui ? insista gentiment Lyle.

— Inspecteur Lyle. (De nouveau un sourire, de résignation cette fois.) Il ne faut pas croire tout ce qu’on dit sur « la libération de la femme ». La plupart des femmes sont comme moi. Mariées, ce qui signifie enchaînées. La femme au foyer fait partie de la « main-d’œuvre non spécialisée. » Oh, je sais, on recherche toujours des « femmes de ménage » dans les petites annonces. Cela revient au même très souvent mais sans la sécurité qu’apporte un contrat de mariage.

George ne peut pas me chasser. C’est bien réconfortant. Et j’ai également un foyer qui est mon foyer. Le côté physique du mariage ? Je ne sais pas ce qu’il en est pour les hommes, mais si une femme décide que c’est sans importance, cela devient sans importance. Le triomphe de l’esprit sur la matière, je suppose. Je… euh, je n’ai aucun droit de me refuser à lui. Mais je peux rendre la chose répugnante. Toute une série de petites ruses parfaitement volontaires. Toutes les femmes les connaissent. Correctement utilisées, elles peuvent donner à un homme l’impression qu’il est malpropre. À la longue, dit-on, elles peuvent même le rendre impuissant.

— Vous… vous êtes bien vengée, murmura Lyle.

— Et je continuerai jusqu’à la fin de ma vie.

— Une chose simplement… (Lyle donnait l’impression de réfléchir à haute voix. C’était davantage une proposition hypothétique qu’une question.) Trois gamines ont été assassinées. Violées, puis assassinées. On pourrait expliquer que le responsable – quel qu’il soit – se jetait sur un fruit défendu parce que le fruit auquel il avait droit lui était refusé.

— Des petites filles ?

— C’est un lâche ? suggéra Lyle.

— Sans aucun doute, acquiesça-t-elle.

— Alors ?

Un petit mot banal, mais qui explosa cette fois comme un pétard dans le silence de la pièce.

— Oh, mon Dieu ! murmura-t-elle en un souffle. (Le sang reflua de son visage et elle tira une bouffée de sa cigarette ; la spirale de fumée montant du bout incandescent amplifia le léger tremblement de sa main.

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