Un sac de billes by Joseph Joffo

Un sac de billes by Joseph Joffo

Auteur:Joseph Joffo [Joffo, Joseph]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Récit, Biographie
ISBN: 9782253029496
Éditeur: JC Lattès


VIII

Il est six heures.

C’est long toute une journée sans sortir. J’ai passé l’après-midi à lire Michel Strogoff et à aider maman à tuer les charançons qui se sont mis dans le peu de haricots qui nous reste.

Les vadrouilles sont finies. Nous allons regarder tourner les aiguilles jusqu’à ce que Henri et Albert arrivent et chaque minute qui passe est une minute d’angoisse : la Gestapo s’est installée depuis trois jours à l’hôtel Excelsior, la plupart des hôtels ont été réquisitionnés. La Kommandantur se trouve place Masséna et des rafles ont eu lieu. Il y a des arrestations nombreuses de Juifs opérées sur dénonciation, mais les quadrillages par quartier ne vont pas tarder.

Papa marche de long en large. Nos volets ont été tirés et dehors c’est encore le grand soleil.

Six heures cinq.

— Qu’est-ce qu’ils peuvent faire ?

Personne ne répond à ma mère qui s’inquiète.

Nous n’avons plus de nouvelles des V., il n’est pas question d’aller voir s’ils sont partis ou s’ils se trouvent toujours chez eux, on dit que lorsqu’il y a une arrestation, les Allemands laissent une souricière pendant plusieurs jours.

Un pas double dans l’escalier, ce sont eux.

Nous nous précipitons.

— Alors ?

Henri s’assoit pesamment tandis qu’Albert va à la cuisine se faire couler un grand verre d’eau. Nous l’entendons boire bruyamment.

— Alors c’est simple, dit Henri. Il faut partir, et en vitesse.

Papa pose sa main sur son épaule.

— Explique-toi.

Henri lève sur lui un regard fatigué. On sent qu’il en a pris un coup aujourd’hui.

— On n’a pas arrêté, Albert et moi, de coiffer des Allemands et ils parlaient entre eux, persuadés que personne ne comprenait. C’était très confus mais en gros il ressort qu’ils arrêtent tous les Juifs, qu’ils sont enfermés à l’hôtel Excelsior et tous les vendredis ils sont emmenés la nuit dans des convois spéciaux vers les camps allemands. Ce sont des wagons scellés qui sont prioritaires. Ils passent même avant les trains de troupes et les convois d’armes. Rester ici, c’est prendre un billet pour l’Allemagne.

Papa s’assoit, pose ses mains à plat sur la nappe.

— Mes enfants, dit-il, Henri a raison, il va falloir de nouveau nous séparer et ces derniers jours, j’ai eu le temps de réfléchir à tout ça. Voici donc ce que nous allons faire. Nous allons d’abord rester fidèles à une méthode qui nous a toujours réussi : nous partons deux par deux.

« Tout d’abord Henri et toi, Albert, vous partez demain pour la Savoie. Il faut que vous rejoigniez Aix-les-Bains, là j’ai une adresse pour vous, quelqu’un vous cachera. Joseph et Maurice, voilà ce que vous allez faire, écoutez-moi bien : vous allez partir demain matin pour Golfe-Juan. Vous vous rendrez dans un camp qui s’appelle « Moisson Nouvelle ». C’est théoriquement une organisation paramilitaire dépendant du gouvernement de Vichy, une sorte d’annexe des Compagnons de France, en fait, il s’agit d’autre chose, vous vous en apercevrez rapidement.

— Et vous, qu’est-ce que vous allez faire ?

Mon père se lève.

— Ne vous en faites pas pour nous, ce n’est pas à un vieux singe que l’on apprend à faire les grimaces.



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