Son Excellence Eugène Rougon by Emile Zola

Son Excellence Eugène Rougon by Emile Zola

Auteur:Emile Zola
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion
Publié: 2015-03-14T16:00:00+00:00


IX

Un matin de mars, au ministère de l'Intérieur, Rougon était dans son cabinet, très occupé à rédiger une circulaire confidentielle que les préfets devaient recevoir le lendemain. Il s'arrêtait, soufflait, écrasait la plume sur le papier.

– Jules, donnez-moi donc un synonyme à autorité, dit-il. C'est bête, cette langue !… Je mets autorité à toutes les lignes.

– Mais pouvoir, gouvernement, empire, répondit le jeune homme en souriant.

M. Jules d'Escorailles, qu'il avait pris pour secrétaire, dépouillait la correspondance, sur un coin du bureau. Il ouvrait soigneusement les enveloppes avec un canif, parcourait les lettres d'un coup d'œil, les classait. Devant la cheminée, où brûlait un grand feu, le colonel, M. Kahn et M. Béjuin se trouvaient assis. Tous trois très à l'aise, allongés, chauffaient leurs semelles, sans dire un mot. Ils étaient chez eux. M. Kahn lisait un journal. Les deux autres, béatement renversés, tournaient leurs pouces, en regardant la flamme.

Rougon se leva, versa un verre d'eau sur une console, et le but d'un trait.

– Je ne sais ce que j'ai mangé hier, murmura-t-il. J'avalerais la Seine, ce matin.

Et il ne se rassit pas tout de suite. Il fit le tour du cabinet, déhanchant son grand corps. Son pas ébranlait sourdement le parquet, sous l'épais tapis. Il alla écarter les rideaux de velours vert, pour avoir plus de jour. Puis, au milieu de la vaste pièce, d'un luxe noir et fané de palais garni, il s'étira les bras, les mains nouées derrière la nuque, jouissant, comme pâmé par l'odeur administrative, l'odeur de puissance satisfaite, qu'il respirait là. Un rire lui venait malgré lui ; et il riait tout seul, les côtes chatouillées, d'un rire de plus en plus fort où sonnait son triomphe. Le colonel et ces messieurs, en entendant cette gaieté, se tournèrent, lui adressèrent un hochement de tête silencieux.

– Ah ! c'est bon tout de même ! dit-il simplement.

Comme il reprenait sa place devant l'énorme bureau de palissandre, Merle entra. L'huissier était correct, en habit noir et en cravate blanche. Il n'avait plus un poil de barbe, rasé de près, la face digne.

– Je demande pardon à Son Excellence, murmura-t-il, il y a là le préfet de la Somme…

– Qu'il aille au diable ! Je travaille, répondit brutalement Rougon. Il est incroyable que je ne puisse avoir un moment à moi.

Merle ne se déconcerta pas. Il continua :

– M. le préfet assure que Son Excellence l'attend… Il y a aussi les préfets de la Nièvre, du Cher et du Jura.

– Eh bien ! qu'ils attendent, ils sont faits pour ça ! reprit Rougon très haut.

L'huissier sortit. M. d'Escorailles avait eu un sourire. Les trois autres, qui se chauffaient, s'allongèrent davantage, très amusés également par la réponse du ministre. Celui-ci fut flatté de son succès.

– C'est vrai, je suis dans les préfets depuis un mois… Il a fallu que je les fisse tous venir. Un joli défilé, allez ! Il y en a de stupides. Enfin, ils sont obéissants. Mais je commence à en avoir assez… D'ailleurs, je travaille pour eux, ce matin.



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