Saison de rouille by Pelot Pierre (Pierre Grosdemange)

Saison de rouille by Pelot Pierre (Pierre Grosdemange)

Auteur:Pelot, Pierre (Pierre Grosdemange) [Pelot, Pierre (Pierre Grosdemange)]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2015-12-04T14:05:12.878000+01:00
Publié: 1982-06-21T22:00:00+00:00


X

LES cinq agents de la Santé marchaient de front au milieu de la rue vide. Dans les premières lueurs du matin, les boucles métalliques des ceintures et les plaques de culasse cuivrées jetaient des étincelles. Ils portaient au revers de leurs manteaux bleus le badge blanc de la HAKE-NERSE – avec les initiales rouges et le poisson aux longues dents stylisé (une sorte de piranha). Leurs visages, entre les rabats soigneusement agrafés des bonnets de fourrure, n’exprimaient rien. Ils avaient le teint café au lait, des yeux très noirs et leurs lèvres violacées par le froid. Ils ne se ressemblaient pas, chacun avait ses traits particuliers ; pourtant, ils donnaient l’impression d’appartenir à la même famille – pas la même race : la même famille.

Ils se déplaçaient à bonne allure, les pans des manteaux fouettant les tiges de leurs bottes.

Un vent doux et puant, venu tout droit des plaines boueuses de la mer, balayait la rue, soufflant ici et soufflant là, pour soulever en poussière la fine pellicule de neige blanche.

Ce quartier-là n’était pas abandonné depuis longtemps – peut-être même ne l’était-il pas vraiment. D’énormes lampes de verre opaque et métal chromé, suspendues, tous les cinquante mètres, à des câbles jetés d’un bord à l’autre de la rue, crachaient une lumière blanche vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le vent marin jouait dans les fausses élingues accrochées aux lampes. Aux fenêtres des immeubles de pierre lisse, les vitres n’étaient pas encore brisées, la plupart des volets intérieurs étaient baissés ; en haut des escaliers d’accès (tous les mêmes, copies conformes répétées à l’infini), les portes d’entrée étaient closes. Cependant, dans cette rue menteuse qui n’avouait pas encore une seule ruine, certains détails marquaient indubitablement l’abandon ; les rideaux gelés, raides, derrière les croisées entrouvertes ; les squelettes de voitures corrodés, bouffés par toutes les rouilles de la terre, généralement dépouillées de leur peau comme de leurs roues, rangées au bord du trottoir ou crevant en plein milieu de la rue ; et les tas – les tas partout, encombrant les trottoirs et la chaussée, les tas de meubles plus ou moins brisés, les tas de n’importe quoi, principalement d’immondices gelés, de poubelles, d’ordures en vrac.

Ils remontèrent toute la rue ; à un moment donné, deux chiens quittèrent une zone d’ombre sous le départ d’un escalier de secours extérieur et s’accrochèrent aux pas de ces hommes décidés. Ils gardaient une prudente distance de quelques mètres entre leur truffe collée au sol et les talons des cinq hommes.

Au bout de la rue, il y avait une place ronde, plutôt vaste, sur laquelle convergeaient d’autres rues. Ici encore, des lampes allumées pendues à des câbles, les imperturbables façades des immeubles avec leurs rangées de fenêtres aux volets clos, ouverts, clos, ouverts, comme autant de clins d’œil en chapelets. Encore et toujours les carrosseries éparpillées, les détritus et les débris divers. La neige était trop fine, trop facilement balayée par le vent pour conserver des empreintes de pas.

Les cinq agents de la Santé s’immobilisèrent. Ils écoutaient… et même le vent se tut, comme pour faciliter leur tâche.



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