L'effet Louise by Boudet Caroline

Auteur:Boudet Caroline
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock
Publié: 2019-07-15T00:00:00+00:00

Noir et blanc : la petite armée

du téléphone

Nous sommes début juillet. Les vacances scolaires ont commencé il y a deux jours. J’ai accompagné Louise et Paul en Normandie, chez mes parents. Depuis des mois, dans mon calendrier mental, était inscrit en jaune fluo, à cette date : décompresser et ne plus anticiper la rentrée de Louise.

Raté !

Je pensais qu’à ce stade les dés seraient jetés, que nous n’aurions plus qu’à la regarder grandir pendant ces deux mois d’été, au pire à attendre le jour de la rentrée pour faire la connaissance de son AVS. Mon souci principal (indiqué, certainement, lui aussi sur le calendrier mental) aurait dû être de lâcher prise. Devrait, aurait dû, aurait pu… À l’annonce du handicap de Louise, c’est une mallette antiphrases au conditionnel et antiverbe « devoir » qu’il aurait fallu me fournir, plutôt que l’adresse des meilleurs spécialistes médicaux.

Début juillet, donc, on ne souffle pas, on ne lâche rien, bien au contraire. Si l’intervention de la mairie a simplifié les choses pour une partie du futur planning de Louise, mon coup de gueule sur les réseaux sociaux, mes lettres aux différents élus concernés et à la MDPH font de nouveau bouillir l’eau sur le feu de la question de l’AVS. Le dossier de recours pour une AVS individuelle n’est toujours pas passé en commission : a priori cela ne devrait pas arriver avant septembre. « Et encore, comment voulez-vous que je vous dise, on a pris du retard et je n’ai aucune idée des dates, vous verrez bien quand ça sera passé, vous recevrez un courrier ! » m’a aboyé au téléphone un agent de la MDPH il y a trois jours.

Sauf qu’entre-temps j’ai sorti la mitrailleuse, visé plusieurs cibles, défoncé une ou deux portes, qui en s’ouvrant ont créé un appel d’air, lequel a lui-même fait s’envoler des papiers partout en désordre… En bref, notre téléphone surchauffe, et Rémy et moi formons une armée qui répond, note, enregistre et rappelle. Chaque jour, pendant cette période de deux semaines (il ne se passera plus rien après le 14 juillet, nous sommes prévenus : les deux administrations concernées, MDPH et Éducation nationale, ne traitent plus ensuite aucun dossier avant septembre), nous prenons place dans un ascenseur émotionnel qui monte au sixième étage (« Cette fois je crois que c’est bon, on a débloqué la situation : elle l’aura, son AVS »), puis retombe au deuxième sous-sol (« Je ne comprends plus rien, je viens d’avoir cette dame qui a sous-entendu que tout était bloqué parce que j’avais fait trop de bruit. »)

En quelques heures, le « cas » de Louise, repris par quelques médias et beaucoup partagé sur les réseaux sociaux, devient pour la semaine l’emblème de tous ces gosses qui, maintenant ou à la rentrée, ne sont pas certains de pouvoir être scolarisés dans de bonnes conditions, et mes phrases deviennent le bréviaire du « parcours du combattant » que vivent les parents de ces milliers d’enfants handicapés. Me revoilà propulsée dans cette drôle de double vie, porte-parole au-dehors, mère terrorisée au-dedans.

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