Le Chant des émotions (French Edition) by Brissaud Valérie

Auteur:Brissaud, Valérie [Brissaud, Valérie]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Librinova
Publié: 2024-01-15T23:00:00+00:00

Un crachin continu épuisait le ciel maussade depuis le matin. La lumière des phares, des rares voitures qui circulaient encore sur la nationale, à cette heure tardive, incendiait la cime luisante des arbres encore feuillus, dentelant l’horizon couleur d’encre. Comme le jeudi précédent, la moto était garée près d’un renfoncement qui débouchait sur une petite esplanade tapissée de feuilles mouillées qui, sous ses pas, se détachaient de terre. Tout au bout, un grand bloc de pierre invitait le promeneur au repos et à la méditation. Olivier avait repéré ce lieu inattendu, sur le bas-côté de cette portion de route qu’empruntait Isabelle tous les jeudis, aux alentours de vingt-trois heures lorsqu’elle quittait la clinique. Toujours renseigné par Eliott le détective, il connaissait la routine d’Isabelle, ses moindres faits et gestes. Avec le maigre espoir de la voir s'arrêter il se postait près d’un arbre, scrutait les lumières vives qui le frôlaient dans la nuit, et attendait. Et comme la fois précédente, la voiture était passée à quelques mètres de lui, filant vers sa destination, et il avait dû se contenter, de la brève vision de la conductrice aux longs cheveux noirs, qu’il n’avait plus revue depuis cinq ans, apparemment inchangée. Malgré la fraîcheur et l’humidité de la nuit, ce soir-là, il ne se résigna pas à rentrer, frustré par ses deux échecs consécutifs et gagné par les angoisses récurrentes qui occasionnaient chez lui des gestes ou des actes extrêmes que rien ni personne ne le retiendrait d’accomplir et qu’il regrettait aussitôt, une fois commis. Assis sur le bloc de pierre, abîmé dans le gouffre que creusait son cerveau, il éteint sa cigarette sur le granit, en saisit une autre dans le paquet écrasé et humide, qu’il avait enfoui dans sa poche, et, l’agitant compulsivement entre ses doigts nerveux, il tirait de longues bouffées, rejetant la fumée par les narines. Il ruminait sa rancœur lorsqu’il entendit une sorte de jappements, puis tendant l’oreille, il perçut des aboiements qui se répercutaient de buisson en buisson, dans cet endroit désert. Un gros chien à poil court, sans collier, aboyait sans discontinuer, la langue pendante, haletant. L’animal était venu à lui posant ses pattes couvertes de boue sur ses genoux, affolé, sans cesser de geindre. Alors il se sentit ridicule, pitoyable, pareil à ce pauvre chien qui était là, venu de nulle part. Il glissa machinalement ses mains dans le poil dru et mouillé de l’animal qui le léchait à présent, confiant et plutôt calmé.

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