La fortune des Rougon by Émile Zola

La fortune des Rougon by Émile Zola

Auteur:Émile Zola
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: ÉFÉLÉ


V

Au loin s’étendaient les routes toutes blanches de lune.

La bande insurrectionnelle, dans la campagne froide et claire, reprit sa marche héroïque. C’était comme un large courant d’enthousiasme. Le souffle d’épopée qui emportait Miette et Silvère, ces grands enfants avides d’amour et de liberté, traversait avec une générosité sainte les honteuses comédies des Macquart et des Rougon. La voix haute du peuple, par intervalles, grondait, entre les bavardages du salon jaune et les diatribes de l’oncle Antoine. Et la farce vulgaire, la farce ignoble, tournait au grand drame de l’histoire.

Au sortir de Plassans, les insurgés avaient pris la route d’Orchères. Ils devaient arriver à cette ville vers dix heures du matin. La route remonte le cours de la Viorne, en suivant à mi-côte les détours des collines aux pieds desquelles coule le torrent. A gauche, la plaine s’élargit, immense tapis vert, piqué de loin en loin par les taches grises des villages. A droite, la chaîne des Garrigues dresse ses pics désolés, ses champs de pierres, ses blocs couleur de rouille, comme roussis par le soleil. Le grand chemin, formant chaussée du côté de la rivière, passe au milieu de rocs énormes, entre lesquels se montrent, à chaque pas, des bouts de la vallée. Rien n’est plus sauvage, plus étrangement grandiose, que cette route taillée dans le flanc même des collines. La nuit surtout, ces lieux ont une horreur sacrée. Sous la lumière pâle, les insurgés s’avançaient comme dans une avenue de ville détruite, ayant aux deux bords des débris de temples ; la lune faisait de chaque rocher un fût de colonne tronqué, un chapiteau écroulé, une muraille trouée de mystérieux portiques. En haut, la masse des Garrigues donnait, à peine blanchie d’une teinte laiteuse, pareille à une immense cité cyclopéenne dont les tours, les obélisques, les maisons aux terrasses hautes, auraient caché une moitié du ciel ; et, dans les fonds, du côté de la plaine, se creusait, s’élargissait un océan de clartés diffuses, une étendue vague, sans bornes, où flottaient des nappes de brouillard lumineux. La bande insurrectionnelle aurait pu croire qu’elle suivait une chaussée gigantesque, un chemin de ronde construit au bord d’une mer phosphorescente et tournant autour d’une Babel inconnue.

Cette nuit-là, la Viorne, au bas des rochers de la route, grondait d’une voix rauque. Dans ce roulement continu du torrent, les insurgés distinguaient des lamentations aigres de tocsin. Les villages épars dans la plaine, de l’autre côté de la rivière, se soulevaient, sonnant l’alarme, allumant des feux. Jusqu’au matin, la colonne en marche, qu’un glas funèbre semblait suivre dans la nuit d’un tintement obstiné, vit ainsi l’insurrection courir le long de la vallée comme une traînée de poudre. Les feux tachaient l’ombre de points sanglants ; des chants lointains venaient, par souffles affaiblis ; toute la vague étendue, noyée sous les buées blanchâtres de la lune, s’agitait confusément, avec de brusques frissons de colère. Pendant des lieues, le spectacle resta le même.

Ces hommes, qui marchaient dans l’aveuglement de la fièvre que les événements de Paris avaient mise au cœur des



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