La Fabrique du sexe by Thomas Laqueur

La Fabrique du sexe by Thomas Laqueur

Auteur:Thomas Laqueur
La langue: fra
Format: epub
ISBN: EPUB9782072482038-73038
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2013-06-14T16:00:00+00:00


Il poursuit sur ce ton dans plusieurs paragraphes, pour s’assurer que ses lecteurs comprennent bien que les personnages féminins manifestement érotisés qu’il a présentés possèdent les mêmes génitoires que les hommes : « L’orifice inférieur de ceste matrice est ce que nous appelons le membre honteux : raportant aulcunement […] au prepuce du membre des hommes. Car tout ainsy qu’est la couuerture de cest entrée ou orifice telle apparoist aussy l’excrescence circulaire du prepuce qui couure le membre honteeux de l’homme38. » Même dans leur minuscule compartiment, nous apercevons le col et la vulve représentés comme des structures en forme de gland. L’idée, si forte après le XVIIIe siècle, qu’il y avait dedans, dehors et sur tout le corps quelque chose de spécifique et de concret qui définissait le masculin par opposition au féminin et constituait le fondement de l’attraction des opposés était absente à la Renaissance.

Sur l’une des illustrations (fig. 50) du livre d’Estienne, un homme — Tout-homme39, peut-être — se tient à son balcon qui surplombe une place publique jonchée de débris (de ruines, peut-être). Il a la tête légèrement inclinée vers le haut et regarde au loin à travers une lunette, sans remarquer une femme nue, enceinte et éventrée, assise en bas dans une position des plus inconfortables. Bien qu’elle figure dans un ouvrage d’anatomie, cette gravure, et les autres illustrations d’Estienne que j’ai commentées, parle de ce qui se passe en surface. Ces gravures nous parlent en effet de théâtre, d’apparences, de fétiches érotiques. Les saints Sébastien qui se contorsionnent, les hommes qui s’écorchent eux-mêmes, les femmes nues dans des cours et autres tableaux dramatiques de même nature retiennent l’œil, tandis que les organes proprement dit sollicitent l’attention d’un discret geignement. Bref, ce sont des figures anatomiques sur le genre et non pas ce que nous appellerions le sexe ou les structures qui, dans le corps, marquent ce qui est mâle et ce qui est femelle.

Dans l’un des dialogues érotiques de l’Arétin, Nanna, la catin, fait précisément ses délices de cette théâtralité du sexe. À l’évidence, elle est femme, différente d’un homme, mais autant par artifice qu’à cause de la biologie. Une « savoureuse paire de fesses » — que les habits de l’époque mettaient plus en évidence chez les hommes que chez les femmes — est la source de son pouvoir. Les « mystères de l’enchantement » se trouvent entre ses cuisses, dit-elle, en changeant de terrain. Mais qu’a-t-elle donc entre les cuisses ? Une ouverture vaginale « si délicatement fendue que c’est à peine si l’on pouvait découvrir où elle était40 ». Ses forces érotiques ne sont point celles de l’anatomie sexuelle, mais lui viennent d’une érotisation extrêmement puissante en surface. Ce qui importe, c’est le genre, et non pas le sexe. Ce qui rend Nanna désirable, ce n’est pas le vagin ni les organes qu’il contient, mais la fente fermée, invisible, toute petite, et il faut déployer un art considérable pour que nature soit « vers son décentrement (bias) tirée ».



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