Essais by Albert Camus

Essais by Albert Camus

Auteur:Albert Camus [Camus, Albert]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard
Publié: 2013-08-13T22:00:00+00:00


LA PROPHÉTIE BOURGEOISE

Marx est à la fois un prophète bourgeois et un prophète révolutionnaire. Le second est plus connu que le premier. Mais le premier explique beaucoup de choses dans le destin du second. Un messianisme d’origine chrétienne et bourgeoise, à la fois historique et scientifique, a influencé en lui le messianisme révolutionnaire, issu de l’idéologie allemande et des insurrections françaises.

En opposition au monde antique, l’unité du monde chrétien et du monde marxiste est frappante. Les deux doctrines ont, en commun, une vision du monde qui les sépare de l’attitude grecque. Jaspers la définit très bien : « C’est une pensée chrétienne que de considérer l’histoire des hommes comme strictement unique. » Les chrétiens ont, les premiers, considéré la vie humaine, et la suite des événements, comme une histoire qui se déroule à partir d’une origine vers une fin, au cours de laquelle l’homme gagne son salut ou mérite son châtiment. La philosophie de l’histoire est née d’une représentation chrétienne, surprenante pour un esprit grec. La notion grecque du devenir n’a rien de commun avec notre idée de l’évolution historique. La différence entre les deux est celle qui sépare un cercle d’une ligne droite. Les Grecs se représentaient le monde comme cyclique. Aristote, pour donner un exemple précis, ne se croyait pas postérieur à la guerre de Troie. Le christianisme a été obligé, pour s’étendre dans le monde méditerranéen, de s’helléniser et sa doctrine s’est du même coup assouplie. Mais son originalité est d’introduire dans le monde antique deux notions jamais liées jusque-là, celles d’histoire et de châtiment. Par l’idée de médiation, le christianisme est grec. Par la notion d’historicité, il est judaïque et se retrouvera dans l’idéologie allemande.

On aperçoit mieux cette coupure en soulignant l’hostilité des pensées historiques à l’égard de la nature, considérée par elles comme un objet, non de contemplation, mais de transformation. Pour les chrétiens comme pour les marxistes, il faut maîtriser la nature. Les Grecs sont d’avis qu’il vaut mieux lui obéir. L’amour antique du cosmos est ignoré des premiers chrétiens qui, du reste, attendaient avec impatience une fin du monde imminente. L’hellénisme, associé au christianisme, donnera ensuite l’admirable floraison albigeoise d’une part, saint François de l’autre. Mais avec l’Inquisition et la destruction de l’hérésie cathare, l’Église se sépare à nouveau du monde et de la beauté, et redonne à l’histoire sa primauté sur la nature. Jaspers a encore raison de dire : « C’est l’attitude chrétienne qui peu à peu vide le monde de sa substance… puisque la substance reposait sur un ensemble de symboles. » Ces symboles sont ceux du drame divin qui se déroule à travers les temps. La nature n’est plus que le décor de ce drame. Le bel équilibre de l’humain et de la nature, le consentement de l’homme au monde, qui soulève et fait resplendir toute la pensée antique, a été brisé, au profit de l’histoire, par le christianisme d’abord. L’entrée, dans cette histoire, des peuples nordiques qui n’ont pas une tradition d’amitié avec le monde, a précipité ce mouvement.



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