Croc-Blanc by Jack Lodon

Auteur:Jack Lodon [Lodon, Jack]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Action & Aventure
Éditeur: Librio
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

6

La famine

Le printemps était dans l’air quand Castor-Gris mit fin à son long périple. On était en avril et Croc-Blanc avait un an lorsque, retrouvant son village d’attache, Mit-sah le libéra de son harnais. Bien qu’il n’eût pas encore atteint sa taille adulte, il était avec Lip-lip le plus grand de sa génération. Sa forte stature, héritée de son père le loup et de sa mère Kichë, en faisait déjà l’égal des plus gros chiens du village. Mais il était moins massif. Son long corps élancé compensait par la vivacité son manque de poids. Son pelage gris était celui d’un vrai loup, qu’il était d’ailleurs sous tous ses aspects. Ses ascendances canines, qu’il tenait de Kichë et qui entraient pour un quart dans sa lignée, ne jouaient aucun rôle dans son développement physique ; seul son mental en gardait la marque.

Il se promena dans le village, où il retrouva avec une satisfaction pondérée les divers dieux qu’il avait connus avant son départ. Il y avait aussi les chiens, les jeunes qui avaient grandi comme lui, et les adultes, qui lui semblèrent beaucoup moins imposants que dans son souvenir. D’ailleurs, il n’en avait plus vraiment peur ; il rôdait tranquillement parmi eux, avec un calme nonchaloir né d’une assurance nouvelle.

Il y avait notamment Baseek, un vieux de la vieille qui, naguère, n’avait qu’à montrer les dents pour mettre Croc-Blanc en fuite et forcer son respect. C’était Baseek qui lui avait alors fait prendre conscience de sa propre petitesse ; c’était le même qui, aujourd’hui, lui donnait la mesure du changement qui s’était opéré en lui. Tandis que l’automne de l’âge avait affaibli l’un, le printemps de la jeunesse avait fortifié l’autre.

Ce fut à l’occasion du dépeçage d’un orignal fraîchement tué que Croc-Blanc découvrit le nouveau rang qui était le sien dans le monde des chiens. Il avait glané un sabot et un fragment de tibia auquel adhérait encore un joli bout de viande. Caché derrière un buisson, à l’écart des bousculades de la curée, il était en train de dévorer son butin quand Baseek vint se camper devant lui. Avant même d’avoir jaugé la situation, il se jeta sur l’intrus et le mordit deux fois. Baseek, ahuri par l’audace et la promptitude de l’attaque, resta sans réaction, fixant Croc-Blanc d’un œil idiot par-dessus l’os rouge et frais qui les séparait.

Baseek était vieux et l’expérience lui avait déjà fait apparaître la valeur croissante des chiens qu’il avait coutume de brimer – une amère expérience, qui l’avait forcé à ravaler son orgueil et contraint à une humilité raisonnable. Autrefois, il eût sauté à la gorge de Croc-Blanc sous l’empire d’une formidable colère. Mais, aujourd’hui, ses forces déclinantes ne l’autorisaient plus à pareil débordement. Il se contenta de se hérisser et de toiser farouchement le jeune loup. Celui-ci, revivant tout à coup ses anciennes terreurs, sembla hésiter ; il se reploya sur lui-même et se fit tout petit, cherchant déjà un moyen de battre en retraite honorablement.

Ce fut alors que Baseek commit une erreur. Eût-il persisté dans ses attitudes d’intimidation qu’il eût emporté la décision.

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