Catherine by Pierre Bergounioux

Catherine by Pierre Bergounioux

Auteur:Pierre Bergounioux [Bergounioux, Pierre]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2016-03-14T23:00:00+00:00


IV

Lorsqu’il ouvrit les yeux, il était presque de plain-pied avec le clair matin. Il n’y avait jamais qu’un lit de cuivre et un meuble d’encoignure et, dehors, une étonnante gloire. Seul manquait le concert des oiseaux. Hors ce creux vers lequel l’oreille, inquiète, se penchait, le trait de feu, au volet, aurait pu être signé d’un jour naissant de juin.

Il fit passer le café mais chercha ensuite du sucre, en poudre, dont il lui fallut déchirer l’emballage et concasser le bloc résistant. Il pensait à Catherine et c’était comme au temps de la vie antérieure, juste avant qu’il ne s’enhardisse, malgré les monstres, la peur, la crainte du sacrilège, à lui dire simplement ceci : qu’il ne concevait pas de durer, sinon près d’elle.

J’ai souffert de ce qu’elle n’était pas là à en avoir le souffle coupé. C’était comme vivre loin du soleil, dans la vase, la nuit. J’ai cru, ensuite, quand elle est venue, ne jamais rentrer dans mon état normal. Je n’avais pas duré assez, pas le recul, l’amer savoir qui vient avec le temps. On ne sait pas, à cet âge. C’est mieux.

Le soleil se pavanait dans la salle à manger. Il devait plus particulièrement en cuire au carabe – mon frère de lumière – qui s’agitait fiévreusement dans son verre : émeraude, rubis, émeraude à nouveau, puis, quand l’autre eut interposé un livre entre le verre et l’astre, rubis. Ou plutôt, dans le carré de pénombre, gros grenat ovalaire, immobile, assagi.

Il est lumière comme je suis saloperie. Il ne sait pas et moi je sais. Mais nous vivions tous les deux dans un mince repli et nous ne survivons pas aux espaces ouverts. Il se pria sans cérémonie d’arrêter les âneries, retira de son cartable le volume entoilé et alla s’asseoir contre le tilleul. Il faisait bon, déjà. Le raisonnement était toujours en porte à faux sur le vide. Il avait tenu toute la nuit. L’autre bord restait confus, à une distance qu’il était difficile d’apprécier.

Il lut d’une traite Quidquid volueris, Rage et impuissance et La dernière heure, de nouveau séparé de la terre et de l’air par la pellicule transparente qu’il sécrétait en parcourant les pages. L’étroite sphère où s’agitaient un instant les apparences d’humanité échafaudées par l’autre, à peine adolescent, flottait dans l’air tiède. Une lumière qui n’était pas seulement celle du matin les touchait, les traversait, révélant sous le placage mince et le papier hâtivement colorié la mécanique délicate, les fils cachés qui aboutissaient à la pointe dentelée, barbare. Elle jaillirait au dernier moment, visant le cœur.

Donc, il m’assaille – enfin, le lecteur – de trois côtés. Il me tend un visage en quoi je crois me reconnaître et le dénature, pour peu que je le suive, de telle sorte que s’en révèle l’abjection, que j’ignorais. Je dois me renier moi-même, n’être plus rien. Ou si je persiste à demeurer tel, admettre que je suis un salaud, un imposteur.

Il se fit, à mi-voix, la remarque que ça ne le gênait plus guère, à présent.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.