Big Fan by Colin Fabrice

Auteur:Colin, Fabrice [Fabrice, Colin]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Inculte
Publié: 2009-01-27T05:00:00+00:00

DIXIÈME LETTRE

Visite mensuelle de ma mère. La folie, mon pote. Il n’y a pas de parloir à Grendon, comme tu le sais : les patients et leurs proches se retrouvent dans une vaste salle commune. Une télé bourdonne dans un coin supérieur. Ma mère est assise en face de moi, un fichu noué sur la tête, marmonnant. Dans ma direction, elle pousse un pot de beurre de cacahuète, avec fond rouge piqueté d’étoiles. Peter Pan. Je n’en crois pas mes yeux. Elle sourit. Ton préféré, affirme-t-elle. Tu es content ?

Je ne mange plus de beurre de cacahuète, maman.

Allons donc. Et pourquoi ça ?

Le cœur. Hautement déconseillé.

Absurde. C’est plein de vitamine B3 et de graisses mono-insaturées.

Et les huiles hydrogénées, maman ? S’il te plaît. Remballe ça. Elle me considère avec scepticisme puis finit par reprendre son pot. Comme tu voudras, je ne t’ai pas apporté de livres non plus. Tu m’as dit que tu en avais assez, qu’il y en avait plein à la bibliothèque. Mais je t’ennuie. Comment te sens-tu, mon trésor ?

Je montre mes mains vides.

Pas si mal.

Tu dois trouver le temps long.

Bingo, maman. Mais je lutte comme je peux, j’écris.

Tu écris ?

Sur ma vie. Sur la vie en général. J’ai des correspondants.

Oh.

Des gens qui s’intéressent à mon parcours. Des gens qui s’intéressent à ce que je sais.

William…

Je pose une main sur la sienne. Ne te formalise pas, dis-je. Je ne vais pas recommencer comme l’autre fois. Tu ne me crois pas, tu ne me comprends pas, tu ne sais pas qui je suis. Je me suis résigné à ce désastre.

Je déteste quand tu parles comme ça.

Et je t’ai détestée, moi, pendant des mois et des mois. Parce que tu n’étais pas là. Parce que tu refusais de m’écouter. Parce qu’à un moment, tu aurais pu tout changer et me sortir de là. Mais je ne t’en veux plus. Tout le monde est comme toi, à de rares exceptions près. Que puis-je exiger de ma mère ?

Elle renifle, retire sa main, cherche quelque chose dans son sac. Une bombe anesthésiante ?

Je déteste quand tu parles comme ça, répété-t-elle sans me regarder. Je pensais que nous étions parvenus à établir un lien, toi et moi. Le docteur Evans…

Je me fous de ce que pense le docteur, maman.

Le docteur Evans dit que tu traverses une phase de déni consécutive à tes errements passés. Elle dit que ça ne durera pas. Elle dit que tes barrières vont céder un jour et que je devrai être là lorsque ce jour arrivera.

Elle sort une paire de lunettes de soleil, qu’elle appuie nerveusement sur son nez.

Je serai là, William.

Je me renverse sur ma chaise.

Génial, maman. Mais c’est trop tard. Le monde est en train de basculer sur son axe. Des signes l’attestent. Nous sommes entrés dans une ère nouvelle. Je te suggère de relire George Orwell et James Ballard. Il ne nous reste qu’à nous tenir prêts.

Ma mère ne m’écoute pas : elle attend patiemment que je termine pour reprendre le fil de son idée. Figure-toi que j’ai parlé de Radiohead avec le docteur Evans, dit-elle.

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