Voyage à Lointainville by Sylvie Desrosiers

Voyage à Lointainville by Sylvie Desrosiers

Auteur:Sylvie Desrosiers
La langue: eng
Format: epub
Éditeur: La Courte éChelle
Publié: 2011-08-30T00:00:00+00:00


Chapitre six

Le moyen le plus sûr de se libérer

du poids du passé, c’est de prendre

sur ses épaules le poids du futur

Il y a des matins où je me mettrais moi-même dans le bac de recyclage. On pourrait me transformer en enveloppe, en carton ondulé ou en bouteille de parfum pour mémères conscientisées. D’autres matins, je me lancerais dans la poubelle : rien à faire avec moi. D’autres encore, quand ça ne va vraiment pas fort, c’est dans le contenant à compost que je choisirais de finir mes jours, vu que je me trouve pourrie dans tous les domaines de ma vie.

Mère déficiente, écrivain dont le plus haut fait est de n’avoir jamais gagné un seul prix, femme incapable d’avoir une relation stable qui ne saura jamais ce que sont les joies du vieux couple, piètre cuisinière sauf pour les pâtes, mains pleines de pouces incapables de poser une tablette droite même avec un niveau, sportive de fin de semaine d’été, au courant de rien, ménagère douteuse, conductrice dans la lune, avec en plus les ménisques des mâchoires déplacés, punition probable du Très-Haut pour toutes les méchancetés que j’ai dites dans ma vie. Parce qu’en plus, j’adore faire preuve de méchanceté crasse envers mon prochain. Pourrie à la racine.

C’est un problème, cette mâchoire ! Si j’ouvre trop grand la bouche, crac ! Ça craque et ça risque de rester pris. Ça relègue un peu loin les fantasmes de baisers passionnés. Je m’imagine en train d’embrasser un homme et, soudain, elle reste bloquée. Je la vois, Léa, la bouche ouverte, à se donner des coups de poing sur le menton en sacrant dans une langue pas claire pour la replacer. Ça casse l’atmosphère un peu.

Mais ce matin, je ne sais pas trop où je me mettrais. En cryogénie, tiens. Oui. C’est ça, pour me réveiller seulement dans mille ans. Peut-être aurai-je alors oublié qu’un jour, quelque part dans le nord du nord, en février deux mille et des poussières, je me suis éveillée couchée aux côtés d’un mort-vivant.

L’Homme avait profité de mon état de sommeil pour s’allonger dans mon lit.

Comme hier matin, je me suis dit que peut-être mon mauvais rêve était fini. Eh non ! Il était étendu paisiblement, respirant doucement, régulièrement. Je n’ai pas osé bouger, sous le choc. Je l’ai écouté. Et ça m’a sauté en pleine face : pour la première fois de ma vie, j’aimais la respiration d’un homme dans mon lit.

Vrai, je n’ai jamais pu supporter. Celle de mon fils, pas de problème ; celle de mon vieux chien qui ronfle, j’adore. Celle d’un homme par contre est un cauchemar complet. Pourquoi donc est-ce que je trouve rassurant ce souffle de l’Homme à la dérive ?

Parce qu’il faut bien le dire, c’est exactement ce qu’il est. Mon compagnon ne sait pas d’où il vient, qui il est, où il va. Mon compagnon est un iceberg dont je ne vois qu’une petite partie émergée, glissant au gré des courants, avec en son cœur encore assez de chaleur pour réchauffer la banquise que je suis de son souffle délicat.



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