Une âme flottante (French Edition) by Philippe Marly

Auteur:Philippe Marly [Marly, Philippe]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2022-02-22T23:00:00+00:00

Photographie

— Qu’est-ce que tu as foutu ? Tu m’as fait vraiment peur.

La voix de Sylvie s’éleva, glaçante, depuis la douche. Le bruit de l’eau contre l’émail atténuait à peine la dureté du ton qu’elle s’échinait à employer. C’était comme une scène de théâtre sans spectateur, un conducteur qu’on venait filer avant la première, les mots avaient quelque chose de faux, une émotion composée, une sorte de subterfuge. À chacun d’entre eux, était accolée une enseigne avec l’indication : répétition.

— Je ne devrais jamais arrêter de danser, résuma Justine, en tailleur sur le sol. Écrire n’est pas pour moi. Écrire est une façon de vivre trop dangereuse. Je ne veux pas y retourner.

Le rideau de douche émit un frottement sec, Sylvie apparut, une serviette à la main, dans l’embrasure de la porte de la salle de bains.

— Ne dis pas n’importe quoi…

— Si tu n’étais pas venue, je serais morte. Je ne bougeais plus. Je ne pouvais plus faire un geste.

— Tu étais immobile parce que tu m’attendais, expliqua Sylvie. Parce que tu ne voyais rien d’autre à faire que de m’attendre. Parce que rien n’existait d’autre pour ton corps que le fait ultime de ma venue. Tu ne mourrais pas de manière simple, ma petite, tu m’attendais. Tu connais peut-être cette stance du Dhammapada, que nous enseigne Bouddha. « Celui qui considère son corps comme un mirage, comme un flocon d’écume, parviendra à ne plus voir la mort ». Tu attendais la mort, c’est-à-dire la délivrance, c’est-à-dire moi. Je suis la juste finalité. Tu as acheté la caméra ?

Justine alla fouiller fiévreusement dans son sac, et en sortit un petit appareil noir, une Blackmagic pocket Cinema 4K, qu’elle s’était fait livrer à l’hôtel, dans un solide carton kraft.

— Tu as les rushs ?

— Oui, j’ai fait comme tu m’as dit. Je me suis filmée, à chaque fois que j’ai reçu tes messages accompagnés de tes photos.

En l’espace de quelques jours, c’était devenu un rite. Quelque chose avec lequel il ne fallait pas plaisanter. Vers sept heures du matin, Justine se lavait longuement, frottant très fort chaque parcelle de son corps, peut-être dans l’espoir de se prouver qu’il existât encore, comme avant, quand elle n’écrivait pas. Puis elle prenait son téléphone en main, et affichait les derniers messages. La caméra était fixée sur un pied, elle n’avait plus qu’à presser sur le bouton rouge pour enregistrer. La première photo qui lui était apparue montrait les jambes nues de Sylvie, un arrière-plan très sombre et une lumière blanche très vive sur la peau, du sexe épilé aux pieds tronqués par l’image. Deux mains d’homme maintenaient serrées les jambes entre elles, et malgré la contrainte, le sexe de Sylvie luisait sous l’objectif. Finalement, les mains de l’homme n’étaient peut-être pas là pour cacher quoi que ce fut. Elles prenaient possession, et se limitaient à cette quête, celle de la chair convoitée, maîtrisée, absorbée, deux avant-bras gourmands, précisant les positions de chacun, l’accessibilité à un nouveau territoire des sens. Il était évident que les

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