Un minuscule inventaire by Jean-Philippe Blondel

Un minuscule inventaire by Jean-Philippe Blondel

Auteur:Jean-Philippe Blondel [Blondel, Jean-Philippe]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Laffont


Un stylo plume noir à fines dorures

C’est mon grand-père qui m’a donné ce stylo — j’avais l’âge de Mathilde. Je passais toutes mes vacances chez mes grands-parents maternels, dans le sud-ouest de la France. Ils habitaient une ferme isolée à la sortie d’un quartier périphérique. De la mi-juillet à la mi-août, les demeures avoisinantes étaient délaissées — leurs habitants partaient à la mer ou même à la montagne. Je n’ai jamais rencontré un seul garçon ou une seule fille de mon âge — et quand bien même j’en aurais rencontré, qu’aurais-je bien pu leur dire ? J’étais là pour un mois, en transit — je n’avais rien de très intéressant à offrir.

Derrière la maison, il y avait un grand champ divisé en deux — une parcelle pour le maïs, une autre pour le potager. J’aidais à cueillir les pommes de terre, les tomates, les haricots verts. Je regardais les poules et les lapins. L’ennui me tombait dessus dès le deuxième jour. Les heures passées à taper avec une balle en plastique sur le mur en crépi gris et à essayer de battre un record de rebonds dont j’étais le seul détenteur — trois cent quatre-vingt-six rebonds sans jamais toucher un volet ni une fenêtre — j’étais très fier de moi, mais il n’y avait personne auprès de qui me vanter. Parfois, je variais, je faisais la même chose, mais avec une balle et une raquette de tennis. Je pouvais tenir des heures pendant que le vieux regardait le Tour de France et que ma mère discutait avec sa propre mère sur le banc en bois vert.

Mon père ne nous rejoignait que tard — pour la dernière semaine — avec la voiture. À ce moment-là, on allait quand même se promener dans les montagnes qu’on voyait à l’horizon.

Jusqu’à sept ou huit ans, je crois que j’y ai trouvé un peu de plaisir, aux vacances. C’est ensuite, année après année, que les forces m’ont lâché et que les digues ont cédé — je me suis vautré dans la lassitude — j’ai soupiré des journées entières.

Lorsque c’est devenu trop pénible, ma mère a décidé de m’amener à la piscine. Les corps bronzés plongeaient et riaient en bandes, j’étais sur ma serviette, j’attendais. J’attendais de rentrer parce que, dans notre ville, je pouvais faire partie d’un de ces groupes qui sautaient dans l’eau en faisant du bruit — j’avais l’identité des bâtiments, je me reconnaissais dans les autres — je comptais mentalement les années qui me séparaient de la majorité. Un tiers de la vie que j’avais déjà vécue à attendre encore.

C’est à ce moment-là, la bibliothèque.

En désespoir de cause, un jour où j’étais resté assis sur le banc dans le jardin pendant trois heures, sans rien faire, ma mère a décidé de m’acheter un cahier de vacances — nous avons pris le bus pour nous rendre au centre-ville, nous sommes entrés dans une librairie-maison de la presse, et tandis qu’elle demandait conseil à la vendeuse et qu’elle feuilletait Paris-Match, je suis parti me perdre dans les livres de poche et les romans policiers.



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