Sophie, La Mer Et La Nuit by Jacques Sternberg

Sophie, La Mer Et La Nuit by Jacques Sternberg

Auteur:Jacques Sternberg [Sternberg, Jacques]
La langue: eng
Format: epub
Publié: 2011-08-29T06:27:20+00:00


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Et je me retrouvai sans elle, une fois de plus.

Et, pour la première fois, je pensai à Sophie avec un certain sentiment de malaise, de lucidité teintée d’inquiétude. Me demander où elle pouvait bien être me paraissait en fin de compte assez vain. J’en arrivais à me demander qui elle était. Et, peu à peu, le fait de ne rien savoir d’elle, pas même son âge ou son lieu de naissance, me paraissait un peu effrayant, absurde et effrayant. Mais je n’arrivais pas non plus à rejeter l’évidence que cette totale étrangère m’était plus proche que tous les êtres qui faisaient partie de mon quotidien, de ma terne réalité quotidienne. Celle-là même que je supportais de plus en plus difficilement.

Mon travail me paraissait de plus en plus futile, aller au cinéma ne me tentait pas plus que me retirer chez moi ou dîner chez des amis, mais Juliette m’était restée dans la tête. Je la revis dès le premier soir après lui avoir demandé de dîner avec moi, ce qu’elle accepta en envoyant, cette fois encore, sa petite famille célébrer son absence dans la plus stricte intimité, devant un repas froid. Je la trouvai plus séduisante que dans mon souvenir, plus triste aussi et elle m’accueillit avec autant de simplicité que si nous nous étions vus la veille et que nous reprenions notre dialogue au point où il en était resté.

« Tu n’es pas vexée que j’aie disparu si longtemps sans te donner signe de vie ? » lui demandai-je.

Elle me dit que non, je ne lui avais rien promis, elle ne m’avait rien demandé.

« Mais j’ai souvent eu envie de te voir, ajouta-t-elle.

— De moi ou de me voir ?

— C’est la même chose. À une lettre près.

— À deux lettres près, lui fis-je remarquer.

— Une lettre, deux lettres, ça ne compte pas beaucoup dans la vie d’une secrétaire. »

Je savais que si je lui proposais d’aller dîner, elle me dirait qu’elle n’avait pas tellement faim. Je lui proposai quand même, pour la forme, ou simplement par timidité. Elle me répondit effectivement qu’elle avait faim de tout, mais pas de nourriture, ce soir. Elle ne mentait pas. Elle avait vraiment très faim d’autre chose. Faire l’amour avec elle me rejeta dans un passé assez récent. Celui que j’avais assumé et vécu avant de rencontrer Sophie : tanguer et rouler sur un beau corps de femme, le caresser, le sucer, le lécher, le faire jouir, s’y faire jouir tout en gardant aussi bien la conscience de la réalité que celle du plaisir. Avec Sophie, cette conscience n’existait plus, je me trouvais happé, roulé dans une autre dimension où les notions de plaisir n’avaient pas beaucoup plus de sens que celles de beauté ou de sensualité. Je prenais Juliette en douceur ou en force, mais avec Sophie je me faisais prendre par quelque chose de secret, de parallèle, d’intangible. Je me vidais de quelques sensations aiguës en Juliette, alors qu’avec Sophie tout un monde de sensations se vidait en moi, m’emplissait comme une outre.



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