Le Pendu de Trempes by Andrée A. Michaud

Le Pendu de Trempes by Andrée A. Michaud

Auteur:Andrée A. Michaud
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782764419489
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2013-03-28T00:00:00+00:00


J’allais apprendre que tous les vrais secrets sont enterrés, et que seuls les fantômes disent la vérité.

Anthony Hyde,

Red Fox

3

Il est presque banal de dire que certaines circonstances vous font douter de la réalité, tant l’absurdité de la réalité s’acharne parfois à prouver que rien de ce qui existe n’a de véritable consistance. C’est ce que je me suis dit après avoir été mis devant cette absurdité, que rien de ce qui constituait ma réalité ne pouvait être saisi, qu’elle ne pouvait s’incarner que dans le corps des trépassés, et qu’il me faudrait redéfinir les termes désignant ce qui se peut ou ne se peut concevoir.

Ainsi que me l’avait demandé Lahaie, j’avais décidé, après une nuit entière à méditer sur la profondeur des bois de Trempes, d’y ensevelir Paul sans plus tarder. Je m’étais muni de tout ce qu’il faut pour transporter un homme, pour attacher un homme, pour enterrer un homme, et j’avais pris la direction de la rivière aux arbres morts avec cet attirail qui m’accuserait mieux que n’importe quelle autre preuve du meurtre de Paul Faber si l’on me surprenait à creuser sa fosse. Je ne savais pas exactement comment je procéderais, mais je me disais que si j’avais été capable de cacher la mort de Paul à tout le village, sauf à Lahaie, je trouverais sûrement le moyen de camoufler son enterrement, et si le geste que j’allais accomplir m’emplissait d’anxiété, j’étais surtout contrarié par la perspective de devoir coucher le corps de Paul pour le priver définitivement de lumière, alors que je m’étais jusque-là efforcé de le laisser en position debout, prêt à s’élever vers l’Éternel et vers les cieux. Je n’avais cependant pas le choix, ou je sacrifiais Paul, ou je me livrais en pâture aux corneilles, et je n’avais pas encore atteint cette limite où les dernières volontés d’un ami m’ayant trahi auraient pu primer sur ma survie. Je mis donc de côté mes scrupules et refis, pour la dernière fois peut-être, le trajet qui avait accéléré la dissolution de ma réalité.

Près de la rivière, Cerbère surveillait les faux pas des voyageurs, aussi impassible que la veille, mais son pelage avait séché et avait maintenant la teinte aride du bois privé de sève. Je devais également avoir le teint grisâtre, le visage livide, l’air blafard des innocents au lendemain de leur inculpation, ce que confirma cruellement mon rétroviseur, où une fine poussière s’ajoutait à celle recouvrant ma peau, et je décidai de m’accorder une heure de répit, rien qu’une, à tenter de sombrer dans l’absence, le bref retranchement du sommeil, avant d’entreprendre mon expédition insensée à travers bois avec le corps complice ou récalcitrant de mon ami. Ma descente fut toutefois vertigineuse, et elle dura probablement plus longtemps que je ne l’avais prévu, car, lorsque je m’éveillai, le soleil avait percé les lourds nuages qui planaient plus tôt sur la rivière. J’avais toujours le teint cendreux et les paupières lourdes, j’avais encore un irrépressible besoin de dormir, mais je n’avais malheureusement pas oublié pourquoi j’étais là.



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