Le bouclier de Marie by Marie Rebour

Auteur:Marie Rebour [Rebour, Marie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Récit(s), Autobiographie, Inceste, Viol, Littérature française
Éditeur: Philippe Rey
Publié: 2022-12-19T07:58:41+00:00

Marie regarde la feuille blanche sur le bureau de Françoise. Ce n’était pas prévu, ça commence mal.

Nous y revoilà.

– Je ne sais pas dessiner.

– Je ne te demande pas une œuvre d’art, juste une représentation de toi.

Comme lorsqu’elle était petite, Marie a envie de couvrir la page de rouge mais elle résiste, immobile, les mains jointes sur ses genoux.

– On ne peut pas passer directement à la relaxation ?

– Non.

La médecin ne la regarde plus. Elle lit des papiers et range son bureau. Marie hésite. Partir ou dessiner. Son regard passe de la fenêtre à Françoise, à la feuille blanche, au pot de feutres. Elle refait la boucle trois fois. Douze mouvements d’yeux. Puis elle avance sa main droite vers le pot. Elle n’a jamais aimé dessiner au feutre car on ne peut pas corriger. Dès qu’un trait est tracé, c’est fichu. Elle commence par dessiner un sol avec des touffes d’herbe. Puis elle fait ses pieds, ses jambes et remonte jusqu’à la tête qu’elle couvre d’un gribouillis pour les cheveux. Elle met ses lunettes et trace un sourire. C’est important le sourire, surtout lorsqu’on vient de faire un dessin aussi nul. Elle ajoute un soleil dans un ciel bleu. Ça ressemble à un de ses dessins d’enfant. Le personnage est de face, bras et jambes un peu écartés comme un épouvantail. Ses mains, on dirait des moufles. Elle pousse la feuille et s’adosse contre sa chaise.

– Terminé ?

Marie hoche la tête en se rongeant les ongles. Elle oscille imperceptiblement d’avant en arrière. Françoise prend la feuille et observe le dessin un instant sans rien dire. Puis elle fait remarquer le manque de féminité du personnage. Ni seins ni hanches. Marie reste interdite une fraction de seconde. Elle n’a pas du tout pensé à ces détails en dessinant. Puis, pour ne pas perdre la face, elle hausse les épaules.

– Je t’ai dit que je ne sais pas dessiner. Et ce n’est pas parce que je n’ai pas dessiné mes doigts que je ne sais pas que j’en ai.

– Ok… et les cheveux ?

– C’est ce que j’ai le mieux réussi, non ?

Elle passe énergiquement les mains sur sa tête et sourit, comme son avatar de papier. Françoise lui rend son sourire et glisse le dessin dans une pochette.

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