L'Ange du patriarche by Kettly Mars

L'Ange du patriarche by Kettly Mars

Auteur:Kettly Mars
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le Mercure de France
Publié: 2017-09-15T00:00:00+00:00


1. Unité monétaire haïtienne.

2. Tu pleures ?

25

Il n’est pas loin de midi, le soleil est debout sur les têtes. Le trafic s’écoule au compte-gouttes sur la route de Frères. Les chauffeurs et les passagers qui ont la chance d’avoir la climatisation s’impatientent dans une relative sérénité, les autres s’intoxiquent de chaleur et de monoxyde de carbone. L’embouteillage est chronique, prévisible et normal sur ce tronçon de route qui va de Pétion-Ville à Pernier et Rivière grise, avec des ramifications vers Jacquet, Tabarre, l’aéroport et la plaine du Cul-de-sac. Au niveau des marchés Télélé et Lector, pas un pouce de trottoir qui ne soit occupé par des marchandes, leurs paniers et leurs ombrelles. La mairie de Pétion-Ville a aménagé un grand espace en retrait de la rue principale, au niveau du marché Lector, pour loger la nuée de petites commerçantes qui encombre la rue et ralentit considérablement le trafic automobile. Peine perdue. La vie se vend et s’achète sur les trottoirs et les acheteurs sont aussi têtus que les vendeurs. Les débarquements et coups de rigwaz1 sporadiques des agents municipaux pour dégager la chaussée n’y peuvent rien. Dès qu’ils sont partis, les locataires illégaux des trottoirs reprennent possession de leur bien. Avocats, bananes, calalous gombos, tomates, ananas, mangues et papayes se vendent par piles entassées sur des carrés de sacs en jute posés à même le sol, à quelques centimètres du passage des voitures. Des vendeuses et vendeurs ambulants se faufilent entre ces commerces pour offrir vernis à ongles, culottes et soutien-gorge, sardines en boîtes, produits d’entretien domestique, paquets de faux cheveux, mort-aux-rats. Des jeunes garçons avec des seaux sur leurs têtes sillonnent la rue en proposant des bidons d’eau et des gazeuses fraîches aux passagers des tap-tap2 excédés de chaleur. Torses nus ruisselant de sueur, leurs nombrils distendus par l’hernie, les pousseurs de brouettes lancent des avertissements sauvages à la foule pour ouvrir le passage à leurs tombereaux surchargés de denrées.

Un peu plus haut, un petit groupe insolite paraît au carrefour de l’ancien cimetière. De loin, on dirait des danseurs effectuant une chorégraphie en pleine rue. Ils se rapprochent et les regards étonnés voient quatre hommes portant un cercueil sur leurs épaules, chacun posté sous une extrémité de la caisse de bois rudimentaire. Ils avancent vite, presque sur la pointe des pieds, et leurs corps effectuent des contorsions cadencées pour garder l’équilibre du quatuor et de la lourde boîte qu’ils portent. Le ballet de la mort. Leurs chemises trempées leur collent au corps. Ils chantent et boivent des coups de bouteilles plates de rhum aux épices qu’ils tirent de temps en temps de leurs poches. Le soleil est sans pitié pour la mort. Il ne se couvre pas un moment pour laisser un répit à ces malheureux qui vont enterrer leur défunt sans tambour ni trompette au cimetière de Sainte-Claire, quelques kilomètres plus bas.

Vanika se tient debout sur le trottoir, dans l’aire de l’ancien cimetière, là où le mouvement humain est un peu moins dense. L’espace vide est devenu une



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