Laissez-moi vous rejoindre by Amina Damerdji

Laissez-moi vous rejoindre by Amina Damerdji

Auteur:Amina Damerdji [Damerdji, Amina]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Historique/Guerre/Mythologie
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2021-06-07T08:23:54+00:00


Jesús Menén... La vodka m’engourdit la langue. Elle me déforme la mâchoire. Jesús Menéndez... Je titube, je vous dis. Je m’écroule dans mon rocking-chair. Voilà. Je pose la bouteille sur le sol carrelé. Elle est à moitié vide. Elle s’est réchauffée maintenant. L’alcool est devenu infect. Il me brûle la gorge. Les Russes ne savent décidément pas composer avec la chaleur. Est-ce qu’on doit le congeler notre rhum, nous ? Je me balance. L’air qui entre par la fenêtre est chargé d’embruns. Jesús Menéndez La... Les lanières en rotin sont méchantes. Elles me pincent le dessous des cuisses. Elles me signalent que je suis devenue grosse. Mes mains s’agrippent aux accoudoirs vernis. C’est beau. La lune fait des bonds au milieu des étoiles. Le vent l’a découverte d’un coup en soufflant sur les nuages. Je ne sais jamais si elle est vraiment pleine ou si elle fait semblant. Jesús Menén... Ne m’obligez pas à bégayer. Je déteste ça. Et puis vous n’êtes plus que des taches. Oui, de minuscules taches que l’océan s’apprête à engloutir. Au clair de la lune... Jesús Menéndezzzz ! Vous m’entendez, pardi ! Ma voix couvre le grondement des vagues qui vous éclaboussent. Elles vous effraient quand elles grimpent à la hauteur de vos joues. Eh non, il ne fallait pas partir. Ce rocking-chair me donne la nausée. Jesús Me... L’air siffle dans mes narines. Il les récure. Jesús Menéndez Larr... Allons, vous savez de qui je parle. Que vous vous enfuyiez en pleine nuit, encore. Vous êtes lâches. Mais l’histoire prérévolutionnaire des ouvriers, ce n’est quand même pas fait pour les chiens. Jesús Menéndez... Pfff... J’en ai assez. Le plafond oscille dangereusement. Le plâtre risque de s’écrouler sur mes genoux. Je le bercerai. Comme je vous berce avec mes histoires. Bon, d’accord, il n’a pas eu droit à un chapitre entier dans vos manuels. Et j’ai dû me battre. Bon sang, ce que j’ai intrigué pour qu’on rebaptise enfin une ville à son nom. C’était il y a quatre ans. Vous devriez vous en souvenir, imbéciles ignares ! J’étais passée à la télévision. Ne prétendez pas ne pas m’avoir vue. Tous les Cubains regardent la télé. Nous sommes même obligés de faire la chasse aux antennes paraboliques. Ne me poussez pas à m’énerver, à bondir de mon siège, à hurler par la fenêtre. Je risquerais de réveiller les voisins. Cette bande de lèche-bottes. Camarade Santamaría ceci, camarade Santamaría cela. Puis ils collent leurs oreilles à la cloison. Et ils vont cancaner dans les ministères ou les hautes administrations où ils travaillent. Je les hais ! Lèche-bottes ! Délateurs ! Les journalistes m’avaient filmée sur une pirogue. Je ramais mieux que vous. Je me tenais droite. Je glissais sur la lagune d’eau salée. Je zigzaguais entre les mangles-rivières. Et puis j’avais eu cette phrase. Je n’avais pas réfléchi. Elle m’était venue comme ça. Que l’âme de Jesús Menéndez se cachait sûrement dans les entrelacs des racines aquatiques, avec les poissons-clowns et les mollusques. Les journaux l’avaient reprise en boucle.



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