La voie cruelle by Ella Maillart

Auteur:Ella Maillart
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2-228-89499-0
Éditeur: Payot
Publié: 2014-04-12T16:00:00+00:00

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Mechhed

Nous marchions vers le lieu saint, nos appareils photographiques cachés sous le bras car nous n’avions pas les permis nécessaires : les autorités de Téhéran avaient sans doute été trop débordées de travail pour pouvoir s’occuper de nous malgré les nombreuses visites que nous leur avions rendues. En cas d’arrestation, j’espérais empêcher une confisca­tion en produisant un document périmé datant de mon voyage précédent.

De larges avenues me rappelaient Tachkent. Des femmes lasses, sans chapeau et vêtues de pardessus gris, allaient au marché avec un panier au bras ; les droshkis étaient russes et les crinières de leurs atte­lages bien assortis avaient souvent une teinte carotte, semblable à celle des barbes de vieux, signe certain qu’elles avaient subi une application de henné. Au cinéma, les sous-titres étaient en russe et en iranien, et dans les magasins il y avait toujours quelqu’un sachant le russe. La nouvelle propagande antireli­gieuse contribuait elle aussi à une ressemblance par ailleurs superficielle : de même qu’à Kiev ou à Boukhara, le nouvel hôpital avait été construit avec l’ar­gent pris aux fondations ecclésiastiques.

Officiellement, le lieu de pèlerinage était ouvert aux non-musulmans, mais on ne les y acceptai qu’avec mauvaise grâce car ce règlement blessait les sentiments de la majorité. Aussi n’étions-nous pas enclines à flâner dans ces nombreux bâtiments : passé la grande grille en fer forgé, nous devînmes timides et nerveuses. Ayant traversé la première cour aussi modestement que possible, nous nous diri­geâmes vers les bureaux. La cour principale, avec près de cent quarante mètres de côté, était entourée de deux étages d’arcades. Elle avait été bâtie au début du xviie siècle par shah Abbas. Arrivé d’Ispahan à pied comme un pèlerin, ce monarque astu­cieux avait décidé de faire de la propagande pour une mosquée de Perse : selon lui, il était inutile qu’un flot continu de pèlerins aillent uniquement enrichir les lieux saints d’Irak et d’Arabie.

Au milieu de chacun des côtés se dressait un splendide ivan — porche arqué caractéristique des mosquées iraniennes. Chaque pouce des murs de la cour brillait de céramique émaillée. Mais ce qui dis­tinguait cette cour, c’était l’or étincelant tout au long des minarets, recouvrant l’arche profonde des ivans et luisant avec une opulence calme sur le dôme en forme de bombe qui surmontait la tombe. Les plaques de cuivre doré laissaient voir leurs joints ; légèrement convexes, elles faisaient penser à quelque somptueuse tapisserie d’or ouatiné. Autour de la brillante coupole, une bande de cuivre nu portait une inscription historique. Combien une pareille splen­deur doit-elle frapper l’imagination du paysan qui n’a rien vu d’autre que le pisé des maisons de son vil­lage ou que les graviers brûlants du désert ! Enfonce­ment de la voûte dorée dans un grand porche, l’entrée du mausolée était comme la sombre gueule d’une caverne ogivale : elle menait au cœur du som­met d’or.

Nous priâmes l’un des officiels de nous guider jusqu’au fameux sépulcre. Temporisant, il voulut d’abord nous montrer les trésors de la bibliothèque. Parmi quelque dix-huit mille livres, il y avait cinq mille corans dont un grand nombre de chefs-d’œuvre magnifiques.

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