La Cadillac blanche de Bernard Pivot by Alain Beaulieu

La Cadillac blanche de Bernard Pivot by Alain Beaulieu

Auteur:Alain Beaulieu
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782764417225
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2013-03-28T00:00:00+00:00


Vous pouvez retirer le drap

Pivot a réussi, avec force incantations, à tempérer les ardeurs de ses invités. Si les plus âgés s’amusent de ces échauffourées, les autres – vivants pour la plupart, donc plus préoccupés par ce que l’histoire retiendra de leur œuvre, pas tant par vanité que par désir de n’avoir pas fait tout ça pour rien – prennent le jeu plus au sérieux.

— Monsieur Barcelo, s’il vous plaît. Gardez vos ardeurs pour ce qui s’en vient, je vous prie.

Comme un écolier pris en défaut, François Barcelo s’amuse des remontrances de Bernard Pivot. Il ajuste sur sa tête son chapeau de camping, lance un clin d’œil complice à Jacques Poulin, qui porte à peu près le même couvre-chef, et indique le chemin des toilettes à Laferrière qui ne s’est pas encore soulagé. Un ballon de cognac à la main, indifférent à tout ce qui se dit autour de lui, Jack Kerouac arpente le restaurant à la recherche d’une «machine à boules ».

— Ça me détend, a-t-il expliqué à Jean-Paul Dubois, et ça me rappelle Lowell. J’ai passé ma jeunesse à brasser ces machines-là. C’est sensuel, une machine à boules. C’est comme si tu faisais l’amour avec le hasard. Ça ressemble à la vie, finalement. T’sais, pour qu’un gars comme moi, un Ti-Jean canayen de descendance bretonne, venu de nulle part pis élevé dans le nowhere du Massachusetts, un joueur de football d’université, un baragouineur d’anglais de taverne pis de truckstop, pour qu’un gars comme moi finisse écrivain pis gagne sa vie avec ça, il faut que le hasard ait bien fait son job.

Il ne comprend pas ce qu’il fout là, au milieu de cet aréopage, lui qui n’a jamais écrit en français, incapable même de juger de la qualité des traductions de ses livres. Bien sûr, il a voyagé en France, à la recherche des descendants de ses ancêtres, les Lebris de Kerouac – qu’il n’a d’ailleurs jamais trouvés. Mais la France ne lui aura finalement fourni que quelques satori, ces illuminations que la méditation zen offre en oboles à ses adeptes, pointes de lumière dans la nuit de la pensée au moment d’écouter quelqu’un parler, de voir un tableau, d’entendre une musique… un moment de grâce, unique parce que lié au temps et à l’espace où il se déploie. La route, le voyage, c’est ça: une manière de provoquer le satori. Certains l’ont compris; d’autres y ont vu plus que ce que Jack a voulu y mettre – la beat generation et tout le bataclan. C’est toujours comme ça quand la mythification prend le dessus sur ce qui, en fin de compte, n’aura été qu’un moyen de s’inscrire au monde et à soi-même comme une antenne, un relais entre le réel sensible – le satori passant nécessairement par les sens – et Dieu. Ah ! pauvre esprit de l’homme, solitaire esseulé sur la plage tandis que Dieu lui adresse un sourire significatif18.

Avec Jean-Paul Dubois accroché à ses bottes, Jack finit par s’asseoir au fond de la salle, son



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