Jours tranquilles d'un prof de banlieue by Martin Quenehen

Auteur:Martin Quenehen [Quenehen, Martin]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Biographie
Éditeur: Grasset
Publié: 2011-08-23T22:00:00+00:00

Dahlia est brune, les cheveux frisottés, tirés en arrière et retenus par un chouchou assez solide pour pendre un multirécidiviste : elle est prof de français. Visage pâle et sourcils froncés, elle est sanglée dans un petit gilet de laine noire et ajourée, superposé à un top de la même couleur sans espoir, histoire de faire comprendre que la vie est un jeu où personne ne pourra jamais gagner. Rémi est blond vénitien, son crâne trop gros sur son corps malingre, habillé d’un polo rayé façon tranche napolitaine de cantoche rentré dans le pantalon, et chaussé de baskets déconfites dont la semelle est soulignée d’une épaisseur orange – manière de rappeler aux élèves le sens du mot élégance et la portée du slogan soixante-huitard : « Jouissons comme des riches. » À moins qu’il ne s’inspire d’un autre slogan, relevé le même mois d’émois, à Nanterre : « Inventez de nouvelles perversions sexuelles. » Il est prof de français et d’histoire-géo auprès des sections pro. Voilà trois ans que Dahlia et Rémi se mangent la botte en secret. Mais aujourd’hui, ils ont sauté le pas. Rémi a montré à sa brune comment il esquive les marrons que lui jettent ses élèves, l’hiver, quand il traverse la cour. Il a esquissé un déhanchement qui a fait s’esclaffer la collègue de sa vie. Ainsi, après neuf trimestres d’une parade nuptiale faite d’œillades, d’offrandes de breuvages lyophilisés et de covoiturage après l’étude du soir – qui leur a permis d’affermir discrètement leur passion, sous couvert de dévouement pédagogique et écologiste –, c’est décidé, ils vont se mettre en ménage.

J’entends maintenant chuchoter derrière moi. Je me retourne. À l’autre bout de la salle des profs, Satyros entreprend l’assistante d’espagnol, Nina. Satyros s’appelle en fait Philippe. C’est un petit prof de physique, invariablement vêtu d’une marinière moulante en lycra, pour montrer ses biceps et jurer avec ses cheveux coiffés en tampon Jex. Sa femme, Pascale, a beau être aussi prof à Louis-Ferdinand, chaque jour il feint de ne pas la connaître et accoste à tout-va. Aujourd’hui, sa cible est donc la stagiaire venue du Venezuela. Une brune ronde qui porte un col roulé sans manches et une minijupe pied-de-poule. Attention ! Satyros n’est pas Rémi : en bon brigand, sur les chemins de la carte du Tendre, il coupe à travers champs. Présentement, il parle à toute vitesse et avec componction du Marquis de Sade. Nina a le teint pivoine. Elle tire sur sa jupe minuscule. Je me rapproche, mine de rien. Il faut le reconnaître : la conversation de ce Casanova est des plus agréables. C’est que Satyros est le dernier prof du bahut à écouter France Culture. Et vas-y que je te cite La Mettrie, Deleuze et George Steiner pour t’attirer dans le labo de chimie… Soudain, il tique. S’arrête de jacter. Une de ses mains aux doigts courts se fige à vingt centimètres du visage de l’assistante. Nina pousse un soupir. Satyros se retourne et fronce ses sourcils charbonneux. Il a senti la présence de Dracul, son rival, qui fond sur eux.

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