Jean-christophe - tome 2 - le matin by Romain Rolland

Jean-christophe - tome 2 - le matin by Romain Rolland

Auteur:Romain Rolland [Rolland, Romain]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2011-04-13T22:00:00+00:00


III.

Minna.

Quatre ou cinq mois avant ces événements, madame Josepha von Kerich, veuve depuis peu du conseiller d’État, Stephan von Kerich, avait quitté Berlin, où les fonctions de son mari les retenaient jusqu’alors, pour venir s’installer avec sa fillette dans la petite ville rhénane, son pays d’origine. Elle avait là une vieille maison de famille, avec un grand jardin, presque un parc, qui descendait le long de la colline, jusqu’au fleuve, non loin de la maison de Christophe. De sa mansarde, Christophe voyait les branches lourdes des arbres qui pendaient hors des murs, et le haut faîte du toit rouge aux tuiles moussues. Une petite ruelle en pente, où l’on ne passait guère, longeait le parc, à droite ; on pouvait de là, en grimpant sur une borne, regarder par-dessus le mur : Christophe ne s’en faisait pas faute. Il voyait alors les allées envahies par l’herbe, les pelouses semblables à des prairies sauvages, les arbres se mêlant et luttant en désordre, et la façade blanche, aux volets obstinément clos. Une ou deux fois par an, un jardinier venait faire une ronde et aérer la maison. La nature reprenait ensuite possession du jardin, et tout rentrait dans le silence.

Ce silence impressionnait Christophe. Il se hissait en cachette à son observatoire ; à mesure qu’il devenait plus grand, ses yeux, puis son nez, puis sa bouche, arrivaient au niveau de la crête du mur ; maintenant, il pouvait passer les bras par-dessus, en se haussant sur la pointe des pieds ; et, malgré l’incommodité de cette position, il restait, le menton appuyé sur le mur, regardant, écoutant, tandis que le soir épanchait sur les pelouses ses douces ondes dorées, qui s’allumaient de reflets bleuâtres, à l’ombre des sapins. Il s’oubliait là, jusqu’à ce qu’il entendît dans la rue des pas qui venaient. La nuit, flottaient autour du jardin des parfums : de lilas au printemps, d’acacias en été, de feuilles mortes en automne. Quand Christophe revenait, le soir, du château, si fatigué qu’il fût, il s’arrêtait près de sa porte, à boire leur souffle délicieux ; et il avait peine à rentrer dans sa chambre puante. Il avait aussi joué, – du temps où il jouait, – sur la petite place aux pavés garnis d’herbe, devant la grille d’entrée de la maison Kerich. À droite et à gauche de la porte, s’élevaient deux marronniers centenaires ; grand-père venait s’asseoir à leur pied, en fumant sa pipe, et les fruits servaient aux enfants de projectiles et de jouets.

Un matin, en passant dans la ruelle, il grimpa sur la borne, par habitude. Il regardait distraitement. Il allait redescendre, quand il eut la sensation de quelque chose d’anormal. Il tourna les yeux vers la maison ; les fenêtres étaient ouvertes ; le soleil se ruait à l’intérieur ; bien qu’on ne vît personne, la vieille demeure semblait réveillée de son sommeil de quinze ans et riait. Christophe revint, troublé.

À table, son père parla de ce qui alimentait les entretiens du quartier : l’arrivée de madame de Kerich et de sa fille, avec une quantité incroyable de bagages.



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