Combat de negre et de chiens by Bernard-Marie Koltes

Combat de negre et de chiens by Bernard-Marie Koltes

Auteur:Bernard-Marie Koltes [Koltes, Bernard-Marie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Publié: 2013-02-23T23:00:00+00:00


XI

Sur le chantier, au pied du pont inachevé, près de la rivière, dans une demi-obscurité, Albouy et Léone.

LÉONE. – Vous avez des cheveux super.

ALBOURY. – On dit que nos cheveux sont entortillés et noirs parce que l’ancêtre des nègres, abandonné par Dieu puis par tous les hommes, se retrouva seul avec le diable, abandonné lui aussi de tous, qui alors lui caressa la tête en signe d’amitié, et c’est comme cela que nos cheveux ont brûlé.

LÉONE. – J’adore les histoires avec le diable ; j’adore comme vous les racontez ; vous avez des lèvres super ; d’ailleurs le noir, c’est ma couleur.

ALBOURY. – C’est une bonne couleur pour se cacher.

LÉONE. – Cela, qu’est-ce que c’est ?

ALBOURY. – Le chant des crapauds-buffles : ils appellent la pluie.

LÉONE. – Et cela ?

ALBOURY. – Le cri des éperviers. (Après un temps :) Il y a aussi le bruit d’un moteur.

LÉONE. – Je n’entends pas.

ALBOURY. – Je l’entends.

LÉONE. – C’est le bruit de l’eau, c’est le bruit d’autre chose ; avec tous ces bruits, impossible d’être sûr.

ALBOURY (après un temps). – Tu as entendu ?

LÉONE. – NON.

ALBOURY. – Un chien.

LÉONE. – Je ne crois pas que j’entends. (Aboiements d’un chien, au loin.) C’est un roquet, un chien de rien du tout, cela se reconnaît à la voix ; c’est un cabot, il est très loin ; on ne l’entend plus. (Aboiements.)

ALBOURY. – Il me cherche.

LÉONE. – Qu’il vienne. Moi, je les aime, je les caresse, ils n’attaquent pas si on les aime.

ALBOURY. – Ce sont des bêtes mauvaises ; moi, elles me sentent de loin, elles courent après pour me mordre.

LÉONE. – Vous avez peur ?

ALBOURY. – Oui, oui, j’ai peur.

LÉONE. – Pour un roquet de rien qu’on n’entend même plus !

ALBOURY. – Nous, on fait bien peur aux poules ; c’est normal que les chiens nous fassent peur.

LÉONE. – Je veux rester avec vous. Que voulez-vous que j’aille faire avec eux ? J’ai lâché mon travail, j’ai tout lâché ; j’ai quitté Paris, ouyouyouille, j’ai tout quitté. Je cherchais justement quelqu’un à qui être fidèle. J’ai trouvé. Maintenant, je ne peux plus bouger. (Elle ferme les yeux.) Je crois que j’ai un diable dans le cœur, Alboury ; comment je l’ai attrapé, je n’en sais rien, mais il est là, je le sens. Il me caresse l’intérieur, et je suis déjà toute brûlée, toute noircie en dedans.

ALBOURY. – Les femmes parlent si vite ; je n’arrive pas à suivre.

LÉONE. – Vite, vous appelez cela vite ? quand cela fait au moins une heure que je ne pense qu’à cela, une heure pour y penser et je ne pourrais pas dire que c’est du sérieux, du bien réfléchi, du définitif ? Dites-moi ce que vous avez pensé lorsque vous m’avez vue.

ALBOURY. – J’ai pensé : c’est une pièce qu’on a laissée tomber dans le sable ; pour l’instant, elle ne brille pour personne ; je peux la ramasser et la garder jusqu’à ce qu’on la réclame.

LÉONE. – Gardez-la, personne ne la réclamera.

ALBOURY. – Le vieil homme m’a dit que tu étais à lui.



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