Le Vent de l'aube - nouvelle édition by Françoise BOURDON
Auteur:Françoise BOURDON [Bourdon, Françoise]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Presses de la Cité
Publié: 2019-07-15T00:00:00+00:00
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1. « Quand le sang juif giclera sous le couteau, tout ira beaucoup mieux. »
27
Sous le soleil, les champs évoquaient une mer bleue dans laquelle le ciel se serait reflété. Nevart releva les manches de sa blouse et sâépongea le front. Depuis quatre heures du matin, elle travaillait à son alambic, approvisionnant sans relâche lâappareil en bois et en lavande. Câétait une tâche épuisante mais, comme elle nâavait pas les moyens dâembaucher plus de personnel, il fallait bien quâelle se débrouille ! Chaque année, ses fidèles coupeurs italiens descendaient de leur Piémont natal, Aïda à leur tête. Si son amie avait un peu vieilli, elle restait vaillante. Son époux avait disparu en Ethiopie, happé par les rêves de grandeur de Mussolini.
« Même pas un endroit où me recueillir, je le porte dans mon cÅur », disait Aïda en se signant. Elle parlait avec beaucoup de tendresse de ses quatre enfants demeurés au pays.
« Lorsquâils seront tous élevés, je viendrai mâinstaller chez toi », avait-elle suggéré un jour à Nevart. Songeuse, la jeune femme nâavait rien répondu. Aïda en avait été blessée avant de hausser les épaules. Elle savait que Nevart, parfois, sâisolait dans ses pensées, se faisait inaccessible. Ses amis lâacceptaient.
Nevart contempla avec fierté la récolte qui sâamoncelait sous le hangar. Même si lâessence de lavande avait vu ses cours fluctuer au cours des dernières années, passant par exemple en 1929 de trois cents à soixante francs, lâan passé, en 1933, ils étaient remontés à quatre-vingts francs. Sa production demeurait rentable, à condition de ne pas transformer des terres à blé en lavanderaies. La « bleue » restait sauvage, rustique, et sâaccommodait mieux des sols ingrats, pierreux.
Les compétences de la jeune femme avaient été peu à peu reconnues. Elle était devenue une spécialiste de la lavande et, pour elle, cela signifiait quâelle sâétait intégrée au pays bleu. Elle avait de moins en moins le temps de se rendre à Romans, auprès de ses frères dâexil. En revanche, lâété, elle recevait les enfants dâAlice. Chaque fois, son amie lui demandait, avec un petit sourire en coin : « Tu es sûre de ne rien regretter ? », et Nevart répondait fermement : « Sûre et certaine. »
A trente ans, elle était considérée comme une célibataire irréductible puisque, de toute évidence, le terme de « vieille fille » ne lui convenait guère.
Peu de personnes connaissaient sa liaison avec le docteur Mailfait. Marceline et Vincent, bien sûr, ainsi quâAïda. Pour les autres, Nevart Tchekalian vivait seule au pied de la Lance avec un chien de berger que Paul lui avait offert sur le marché de Grignan. Elle lâavait appelé Charlot : elle avait beaucoup ri, quelques jours auparavant, à la projection de La Ruée vers lâor.
Charlot avait le poil rêche, ébouriffé, une grosse tête ronde quâil penchait dâune drôle de façon dès quâil entendait la voix de Nevart, et ne supportait pas les chats. Vincent ayant décrété quâil devait avoir des aptitudes de chien truffier, on avait vite compris quâil excellait à la rabasse.
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