Le Cœur d’un père by Josselin Guillois

Le Cœur d’un père by Josselin Guillois

Auteur:Josselin Guillois [Guillois, Josselin]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions du Seuil
Publié: 2022-03-04T14:52:29+00:00


*

Quelques heures ont passé, la nuit dehors est tombée, la cuite a monté.

– Tu exagères.

– J’ai le droit.

– Qu’y a-t-il, Adam, tu te sens mal ?

– Mais au contraire Jacobus, je réfléchissais un peu.

– Raconte donc.

– Ça va vous embêter.

– Allons bon !

– C’est une affaire un peu compliquée.

– Mais non.

– Si tu insistes. Eh bien, je vous regarde, et, quand je vois des hommes, j’ai le sentiment de ne voir que des enfants. Mon père, qui ne savait pas ce qu’il faisait, m’a donné le nom d’un homme qui ne fut jamais enfant, puisqu’il est né adulte. Eh bien, au contraire du premier homme Adam, nous avons tous été enfants, des bébés même, et nous gardons mal notre mémoire. Eh bien (et il disait cela avec beaucoup de tristesse), au contraire du petit du canard qui fend sa coquille, qui nage au premier jour de sa vie, au contraire du poulain qui se tient debout seul pour téter avant qu’il ait trois heures de vie, nous, nous avons été longtemps des enfants. Je vois cela dans les rides de chaque adulte que j’ai croisé sur ma route, et j’ai fait longtemps le vagabond. Ils ont été des enfants délaissés, sont devenus parfois des parents, qui délaisseront souvent leurs enfants, tous ces hommes esseulés et magnifiques. Mais l’adulte néglige sans cesse, et l’enfant qu’il a été et l’enfant qu’il a parfois à élever : être né est excusable, mais avoir été enfant est honteux, avoir été enfant, vraiment, quel enfantillage ! Mais pour ma part je tombe amoureux du premier venu chez qui j’aperçois l’enfant qui gît en transparence. N’importe qui que je croise dans la rue, sur le port, sur une barque, à la foire, ou en prison, au couvent ou au bordel, l’homme qui, sans le vouloir, comte, gueux, évêque ou gigolo, l’homme qui brusquement lève en moi de l’amour, eh bien oui, je ne l’aimerais pas s’il n’avait été un enfant, souvent maladroit et infréquenté. Je vous regarde, je vois les enfants que vous avez été, et voilà. Même toi Conrad. Mais nous avons Titus ce soir à notre table ! Et à bien le regarder…

– Mais c’est déjà un petit homme notre Titus, pas vrai ?

– Bof, l’a une gueule de puceau.

– Il deviendra un homme.

– Tous le font.

– Pas ceux qui meurent avant.

– À quoi bon ?

– Mourir ?

– Non, devenir homme.

– Pour pleurer.

– Pleurer moins mais mieux, c’est-à-dire plus mal.

– Pour rire.

– Pour jouir.

– De quoi ?

– Tu as déjà fait l’amour, Titus ?

– Mais laisse-le tranquille.

– Je ne veux pas le laisser tranquille !

– C’est lui qui est venu nous trouver.

– Bien dit.

– Reprends du cidre.

– Attention !

– Il renverse tout ce gosse.

– Vous le faites chier aussi.

– Pas moi.

– Acclamons l’immaculée maladresse du superbe puceau à notre table !

– T’es con.

– Ne le prends pas mal, Pouw est comme ça.

– Tu as tout pour toi : l’innocence, la puérilité, la naïveté.

– L’innocence des viscères, la puérilité des tripes, la naïveté de l’obscénité.

– Un vrai chérubin !

– Un chérubin au milieu des maudits.



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