Hier encore, c'était l'été by Lestrange Julie de
Auteur:Lestrange Julie de [Lestrange Julie de]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2015-01-06T23:00:00+00:00
Le déjeuner se déroula dans la salle à manger qui pour lâoccasion avait été entièrement vidée de ses meubles à lâexception de la table sur laquelle on avait installé des rallonges. Mais même selon cette configuration, lâespace demeurait exigu et ils furent serrés. En place dâinconfort pourtant, il régna une grande chaleur humaine. On fit passer de nombreux plats qui firent plusieurs fois le tour de la table, des plateaux dâhuîtres que Claude avait passé la matinée à ouvrir, du foie gras fait maison par Françoise, un chapon succulent commandé chez le traiteur, du fromage au cÅur coulant et bien sûr des chocolats et des bûches glacées. Les petits plats dans les grands, en grande quantité pour satisfaire tout le monde. Le vin coula à flots, du rouge et du blanc, et du moelleux pour le dessert. On installa Micheline en bout de table pour quâelle puisse voir tout le monde et même si elle ne participa pas à la conversation, dépassée par cette soudaine agitation, elle parut contente dâêtre entourée de ceux quâelle aimait et dâêtre témoin, même silencieux, de leurs retrouvailles. Ils se séparèrent vers dix-sept heures après de grandes accolades.
Alexandre fut le dernier à dire au revoir à sa grand-mère tandis que le reste de la famille dévalait bruyamment les escaliers et que Jean restait auprès de sa mère pour la veiller et lui tenir compagnie. Il était en train de lui préparer un thé après lâavoir fait regagner son fauteuil et déposé sur ses genoux une couverture chaude. Dehors il faisait nuit noire et les réverbères projetaient leur lumière orangée en étoile sur les vitres. Câétait joli. Après sâêtre assuré que son oncle nâavait pas besoin dâaide, Alexandre se pencha vers sa grand-mère pour lâembrasser encore une fois. Elle avait les yeux mi-clos et somnolait. Il déposa un baiser très léger sur ses cheveux argentés et lui caressa la joue. Elle ne bougea pas, ne sursauta pas. Après lâavoir regardé une seconde encore, il sâécarta, dit au revoir à Jean et sâen alla.
Lorsquâil referma la porte derrière lui, lâescalier était redevenu silencieux et il descendit les marches une à une en prenant son temps. Il ressentait le besoin de sâattarder sur ces murs devant lesquels il était passé un millier de fois et quâil ne reverrait peut-être pas. En haut des cloisons, au bout de cet escalier quâil connaissait par cÅur, il y avait toujours eu sa grand-mère qui très bientôt nây serait plus. Câétait étrange. Au-delà de la voir dans cet état, dans cette lente dérive vers la mort qui durerait tant que Dieu voudrait, il réalisait quâil y avait en lui, ancrée plus profondément, cette autre chose qui lui comprimait la poitrine. Un sentiment plus égoïste qui ne concernait pas sa grand-mère mais lui plus directement, qui lui faisait comprendre comme une implacable vérité que la roue de la vie était en train de tourner. Que dans cette merveilleuse chorale familiale, le temps poursuivait son Åuvre et quâici comme ailleurs, les cadets étaient appelés à devenir des aînés.
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