Fanette : la suite, première partie by Suzanne Aubry

Auteur:Suzanne Aubry [Aubry, Suzanne]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782764814451
Éditeur: Libre Expression
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

Le 20 septembre

Ma chère Marie-Rosalie,

Depuis notre rencontre, je n’ai cessé de penser à vous. Notre merveilleux tête-à-tête a fait renaître en moi des sentiments à la fois passionnés et tendres que je n’avais pas éprouvés depuis fort longtemps: ils appartiennent à une part de mon être à laquelle j’avais renoncé, faute de trouver l’âme sœur.

Car vous êtes cette âme sœur, je l’ai su aussitôt en vous admirant sur la scène de l’Académie, auréolée de lumière et de beauté. À vous seule vous incarnez un rêve qui me semblait inaccessible, telle une montagne lointaine et infranchissable, mais vos yeux magnifiques, pailletés d’or fin, votre sourire si sincère et candide m’ont donné l’espoir que ce rêve pouvait devenir réalité.

Avez-vous entendu parler d’Abélard et Héloïse? Ils vécurent au Moyen ge et s’aimèrent d’un amour profond. Abélard était un théologien et philosophe de grand renom, et Héloïse, une fille de bonne famille à l’érudition remarquable pour ses seize ans. Abélard devint son précepteur et tomba follement amoureux de son élève, quoiqu’il eût dix-huit ans de plus qu’elle. Elle lui inspira ce vers magnifique: «L’astre dont la vue m’avait réjoui pâlit dans la brume de mon cœur.» Tous les bien-pensants de l’époque s’insurgèrent contre cet amour qu’ils considéraient comme impie, et les deux amants furent séparés dans des circonstances tragiques. La légende raconte que, lorsque Héloïse mourut, elle fut enterrée avec Abélard dans le cimetière de l’abbaye du Paraclet dont elle avait été la prieure, et que son amant, franchissant l’obstacle du cercueil, tendit ses bras et l’enlaça.

Tout comme Héloïse, vous avez le pouvoir de faire de moi l’homme le plus heureux du monde ou le plus malheureux sur la terre. Je vous demande; non, je vous supplie de bien vouloir m’accorder un deuxième rendez-vous, ce mardi 24 septembre, à une heure de l’après-midi, au même lieu où vous fîtes ma conquête sans l’ombre d’un artifice, par la seule grâce de votre délicieuse présence.

Je vous attendrai avec cet espoir fou qui me rend la vie plus supportable.

Votre tout dévoué,

Lucien

P.-S. Je vous prie de détruire cette lettre aussitôt que vous l’aurez lue. Je ne veux surtout pas vous compromettre.

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