Cannibale Blues by Béatrice Hammer

Auteur:Béatrice Hammer [Hammer, Béatrice]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
Éditeur: Les éditions d'Avallon
Publié: 2020-06-11T22:00:00+00:00

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le 6 juin 1985

Hier soir, en sortant de cours (c’était la dernière heure des élèves de deuxième année, j’étais si anxieux que j’avais appris par cœur le résumé), soulagé que tout se soit finalement bien passé (ils n’ont pas réclamé de séance d’esprit critique), j’ai décidé d’aller dire bonjour à Betty. Je ne l’avais pas revue seule depuis ma guérison, et j’avais résolu de mettre les choses au point ; je voulais aussi m’assurer de sa discrétion, sachant combien les moindres bruits circulent rapidement dans le milieu des expatriés.

Mais, une fois arrivé chez elle, la force m’a manqué. Betty semblait si sincèrement heureuse de me voir que je n’ai pu me résoudre à gâcher son plaisir. D’autant que son comportement ne recelait aucune trace d’ambiguïté : elle m’a embrassé sur la joue, m’a proposé de boire un verre, m’a demandé des nouvelles de ma santé, comme si jamais ce qui s’était produit entre nous n’avait eu lieu.

Tout en devisant amicalement, j’ai réalisé combien il aurait été cruel de mettre les points sur les « i » à cette jeune femme qui m’avait soigné, qui m’avait veillé jour et nuit, qui n’avait jamais rien réclamé, qui ne s’était souciée que de mon bien-être, de mon confort, de mon plaisir, qui m’avait offert tout ce qu’elle avait dans l’unique but d’apaiser mes tourments. Face à un tel dévouement, mes velléités d’« éclaircir » la situation, mon souci de « discrétion » m’ont paru tout à coup mesquins, égoïstes, voire insultants.

Nous avons parlé des vacances, qui se rapprochent. Sans entrer dans les détails, je lui ai expliqué à quel point la dernière lettre que j’ai reçue de Juliette avait pu me déstabiliser, et combien j’étais inquiet de la situation que j’allais trouver à mon retour en France. Ensuite, je lui ai demandé quels étaient ses propres projets. J’ai été très surpris d’apprendre que Betty ne rentrerait pas aux États-Unis. En fait, comme la plupart des Américains, elle ne bénéficie que de deux semaines de congé. Si elle rentrait chez elle pour une plus longue période, elle serait contrainte de déclarer les jours supplémentaires comme étant pris en congé sans solde, bien qu’il n’y ait pas de cours à l’Institut. Plutôt que de faire une visite-éclair dans un pays où personne ne l’attend, elle préfère rester ici. Cela ne semble d’ailleurs pas la déranger : elle a l’intention d’aller tous les jours à la piscine, de prendre des cours de français, de se mettre au jogging, et peut-être, si cela se confirme, de partir quelques jours visiter les parcs avoisinants, voire – mais elle n’en est pas sûre – de tenter l’ascension du Kilimandjaro.

Le soir tombait. Dans la pénombre, le visage de Betty, qui s’animait à l’évocation de ces projets passionnants, était devenu beau. Je me sentais détendu, heureux d’être là à ce moment précis. L’ombre d’un instant, je me suis demandé si Juliette comprendrait que je puisse entretenir une relation amicale avec une autre femme, mais j’ai bien vite chassé cette pensée : qui sait ce qu’elle était en train de faire, au même instant, avec Éric.

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