Voyage clandestin avec deux femmes bavardes by Iegor Gran

Auteur:Iegor Gran [Gran, Iegor]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782818058763
Amazon: 2818058767
Éditeur: POL
Publié: 2023-09-06T23:00:00+00:00

– J’ai une personne dans ma famille qui voit les événements dans un miroir défor-mant, elle ne capte pas la réalité, elle accuse la Russie de je ne sais quoi. Je l’aime pourtant mais impossible de discuter avec elle, c’est très décevant. Elle n’était absolument pas politisée avant, même si elle regardait des émissions libérales sur YouTube, voulait que la Russie devienne « un État de droit »

et que le « régime de Poutine » se termine.

Crêpe ! Mais d’où ? D’où avait-elle autant de caca dans la tête ? J’ai essayé de trouver un moyen de coexister. On vient de se disputer en diarrhée.

Une tante en Ukraine lui envoie des reportages sur les destructions d’immeubles qui commencent à faire tache. Svetlana :

– Elle veut me « soigner » avec ses vidéos YouTube, pour que « j’ouvre les yeux ».

Comme c’est petit et pathétique. Comme si elle pensait me faire changer d’avis avec ses bricolages, que je ne regarde même pas 97

car je sais ce qu’il y a dedans – mensonges et désinformations.

Il y a donc des disputes, et, sans doute, des ruptures. Loin de traumatiser Svetlana, elles renforcent sa vision polaire du monde.

La foi, quand elle est véritable, demande des sacrifices, et Svetlana y consent avec abnégation et une certaine joie morbide –

celle du yakuza qui se tranche une phalange pour montrer sa dévotion. En se coupant de ceux de son entourage qui sont opposés à la guerre, elle accomplit le même rituel sacré. Ce n’est donc pas une surprise si, un mois après le début de la guerre, elle se livre à un monologue militariste, dont la logique singe, sans le vouloir, les oxymores de 1984 :

– Je les hais, je hais ces pacifistes hypocrites qui ont sorti leur tête du marécage pour se mettre à brailler « Non à la guerre ! ».

Vous êtes, oui, vous, les complices de la destruction silencieuse de ma Patrie, vous avez 98

perverti la notion même de « pacifisme ».

Vous savez quoi ? Je suis, moi aussi, contre la guerre, et c’est pourquoi je soutiens l’opération militaire spéciale. D’ailleurs on ne tue pas les civils. Quant aux militaires, on leur propose de déposer les armes pour que personne ne soit blessé. Qu’attendent-ils ?

Une fois les ponts coupés et digérés, ça va mieux. Les nouvelles du front lui semblent bonnes. Même si l’armée russe abandonne l’idée de prendre Kyiv en quelques jours et recule, un gros bout de territoire a été occupé autour de Kherson, Melitopol, Kharkiv. Svetlana est optimiste.

Elle devient magnanime :

– Nombreux sont ceux qui ne com-prennent pas que se moquer des Khokhols, vouloir leur mort, se réjouir de leurs mal-heurs, savourer les peines de l’ennemi sont précisément les symptômes d’une maladie qui a contaminé l’Ukraine. On ne doit surtout pas devenir comme eux !

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