L'Homme qui m'aimait tout bas by Éric Fottorino

L'Homme qui m'aimait tout bas by Éric Fottorino

Auteur:Éric Fottorino [Fottorino, Éric]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Récits
ISBN: 9782072023750
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2011-05-26T23:08:44+00:00


15

Plus je me relis et plus je me relie à lui. Il y a quelque impudeur à se citer. Jamais je n’aurais imaginé le faire si ce n’était mon seul moyen de l’approcher au plus près.

Mon père apparaît comme une métaphore dans Un territoire fragile, roman qui met aux prises une jeune femme de vingt ans souffrant de tous ses membres et un « accordeur de corps », personnage mystérieux plein de délicatesse qui se définit ainsi : « J’accorde les muscles et les vertèbres comme un guérisseur de piano rend leur souplesse aux cordes martelées de la table d’harmonie. C’est toute ma vie, accorder. Au fond, je ne connais pas d’œuvre plus humaine. » Tout mon père est là. L’immense sollicitude qui va de ses yeux à ses mains, la chaleur de son regard entièrement canalisée par ses paumes et chacun de ses doigts. J’admirais le kiné qu’il était. Kiné était-il le mot juste, ou faut-il parler de sorcier avec un fluide qui lui rendait accessible l’envers de la peau de ses patients ? Après mon bac j’avais envisagé de suivre ses pas ou plutôt ses mains. J’avais préparé le concours d’entrée à l’école de kinésithérapeutes jusqu’au jour où j’avais réalisé que, à la différence de mon père, j’aurais été incapable de toucher un malade, de lui apporter un soulagement par le seul contact de mes mains. Je n’imaginais pas que les kinés modernes usaient moins de leur toucher que de matériels toujours plus sophistiqués. Comme en tout, mon père était mon modèle, lui qui recevait ses clients un par un, pour mieux les suivre et les aider dans leur rééducation. Je crois aussi qu’il leur apportait du réconfort avec sa voix.

C’est une révélation pour moi que de relire ces pages endormies d’Un territoire fragile. À travers les yeux de la jeune héroïne Clara Werner, qui donne sa confiance à l’accordeur, je revois le cabinet de mon père, je l’entends parler. Les mots que je lui prête, il ne les a jamais dits : ils imprégnaient l’air quand il exerçait son art, sans doute s’imprimaient-ils sur la peau de ses patients comme ils sont imprimés dans la cire obscure de mon cerveau.

Par où commencer ? Le cabinet de mon père vu par les yeux de Clara. Nous y sommes. J’y suis.

« Sa salle de soins était un espace à peu près vide composé de grilles murales où pendaient dans une disposition incertaine poulies et cordelettes. Debout se tenait l’écorché d’un homme en cire d’abeille, les muscles saillants et colorés comme des berlingots de fête foraine, vision dure, ou des pelotes de laine, vision douce. Par terre étaient alignés de petits sacs en peau de renne d’une inégale grosseur et remplis de sable. Je vis encore quelques haltères minuscules dont le poids maximal, c’était inscrit, ne dépassait pas les deux kilos. Des rondelles de fonte empilées servaient de lest. Il y avait aussi des balles de tennis. J’ignorais encore combien elles pouvaient soulager un cou verrouillé. Il me fallut plusieurs



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