Les Herbes du chemin by Sôseki Natsume

Auteur:Sôseki, Natsume [Sôseki, Natsume]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Philippe Picquier Éditions
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

54

L’humeur de Kenzô aussi avait des hauts et des bas. Il ne disait pas que des choses propres à apaiser les inquiétudes de sa femme. Il lui arrivait de ne plus pouvoir supporter l’état de celle-ci, qui reposait, la mine contractée. Debout à son chevet, il lui demandait brusquement des choses dont il n’avait pas besoin.

De son côté, elle ne bougeait pas. Elle affichait une indifférence à toute épreuve, l’air de dire : « Bats-moi, donne-moi des coups de pied si tu veux. » Elle qui ne parlait déjà pas beaucoup d’habitude, s’enfermait de plus en plus dans le silence. Elle se rendait pourtant compte que cela exaspérait Kenzô.

« En fin de compte, ce n’est qu’une entêtée ! »

Intérieurement, il résumait ainsi les particularités de sa femme. Il fallait qu’il oublie tout le reste. Son esprit était fixé sur cette notion d’entêtement. Il projetait toute sa rancune dans ce mot, le seul qui veuille dire quelque chose pour lui, le seul éclairant l’obscurité trompeuse des autres mots. De son côté, sa femme, aussi muette qu’un poisson ou un serpent, acceptait en silence cette rancune, ce qui avait pour résultat de la faire passer aux yeux de leur entourage pour une femme de caractère, alors que Kenzô passait pour un homme irrésolu à la limite de la folie.

« Tu es si cruel, que je vais avoir une crise de nerfs. »

C’est ce que son regard semblait de temps en temps vouloir dire. Toujours est-il que Kenzô redoutait cet éclat qui brillait dans ses yeux. En même temps, il le haïssait. Tout en priant pour qu’aucun éclat ne se produise, il ne laissait paraître qu’indifférence. Mais elle savait que, derrière cette attitude forte, se cachait un endroit vulnérable.

« De toute façon, je vais mourir en couches, alors, ça m’est bien égal ! »

Elle prononçait ces mots entre ses dents, assez haut cependant pour que Kenzô les entende. Il avait envie de lui répondre : « C’est ça, meurs donc ! »

Une nuit, s’étant brusquement réveillé, il vit sa femme qui fixait le plafond, les yeux grands ouverts. Elle tenait à la main un rasoir qu’il avait rapporté d’Europe. La lame était sortie du manche d’ébonite, mais elle n’était pas droite. L’éclat froid du métal ne le frappa pas. Pourtant, il eut un sursaut. Il se dressa à moitié hors des couvertures et arracha le rasoir des mains de sa femme.

— Qu’est-ce que tu fais, idiote !

En même temps, il lança le rasoir. La lame brisa une partie de la paroi de verre du shôji et alla tomber sur la véranda. Sa femme ne dit rien, l’air ahuri, comme dans un rêve. Avait-elle cédé à sa passion des instruments tranchants ou, bien pis, à une crise ? N’avait-elle pas pu s’empêcher de s’en emparer, ou encore avait-elle recouru à cette ruse, bien féminine, pour prendre sa revanche sur son mari en lui faisant peur ? A supposer que la dernière proposition fût juste, quelle était son intention véritable ? Etait-ce pour faire revenir

Télécharger

Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.