L'année de la sauterelle by Terry Hayes

Auteur:Terry Hayes [Terry Hayes]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782709672078
Éditeur: JC Lattès
Publié: 2024-03-19T23:00:00+00:00

6.

Au début, ce furent quelques pas douloureux dans la salle de sport. Puis, à mesure que je reprenais des forces, dans les jardins du manoir – les arbres se transformaient en une spectaculaire débauche d’or et de cuivre au fil des semaines. Et enfin le long des rues qui entouraient notre maison.

J’attendais que Rebecca parte au travail – elle faisait partie de l’équipe de nuit de MedStar – et alors que le monde dormait, je martelais les routes désertes, poussant mes jambes, travaillant mes muscles, me forçant à dompter la raideur et la douleur encore récurrente de mon pied. Je courais avec colère et détermination, mais je n’étais jamais seul ; je courais avec mes souvenirs.

Semaine après semaine, j’allongeais un peu la distance. J’étais proche de l’objectif des trente kilomètres quand, une nuit, une lumière, dans mon dos, éclaira les arbres alentour. Je me retournai et vis une voiture – vision inhabituelle sur cette route à une heure aussi tardive – qui s’approchait lentement de moi. Ses phares étaient trop éblouissants pour que je puisse l’identifier.

Les vieilles habitudes ayant la vie dure, je reculai aussitôt pour me cacher dans l’ombre, laissant plusieurs arbres entre le véhicule et moi, tout en me maudissant de ne pas avoir emporté mon pistolet.

La voiture ralentit, et je la reconnus. Rebecca était au volant. Je sortis de ma cachette et la regardai avec un mélange de soulagement et d’exaspération tandis qu’elle baissait la vitre côté passager.

« Désolée, je ne voulais pas te faire peur, dit-elle.

— Je te croyais au travail.

— Ils se sont trompés dans le tableau de service. J’ai pu partir plus tôt, alors je suis rentrée. Et comme tu n’étais pas là, je me suis dit que j’allais venir à ta rencontre. » Elle marqua une pause. « Quand tu cours, où est-ce que tu vas ?

— Ça dépend. D’habitude, je fais encore dix kilomètres le long de cette route, puis, quand je…

— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je parlais de ta tête. »

On se dévisagea « Tu montes ? » proposa-t-elle. Je m’exécutai, puis elle redémarra. « C’est la même chose tous les soirs ?

— Les pensées ? En grande partie, oui.

— Tu retournes là-bas – sur la plage ? Des endroits comme ça ? »

Je ne répondis pas. Elle tourna à gauche, sur un chemin étroit, et je compris qu’elle se dirigeait vers une réserve naturelle assez isolée où d’immenses étangs étaient surplombés par quantité de saules. Juste au moment où l’on s’arrêtait, un groupe d’oies sauvages migrant vers le sud pour l’hiver se posa au clair de lune. Elles étaient si magnifiques que, de façon assez inattendue, le spectacle suffit à détendre l’atmosphère. Rebecca me prit la main.

« Je te demandais si tu retournais sur cette plage.

— Et à d’autres endroits. Un certain canyon, surtout. J’entends des choses, Rebecca, dis-je sans quitter les oies des yeux. Je ne sais pas pourquoi, mais il m’arrive d’avoir un pressentiment, je vois ce qui nous attend. » Je me tournai vers elle ; elle me regardait avec scepticisme.

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