La petite menteuse by Pascale Robert-­Diard

Auteur:Pascale Robert-­Diard [Robert-­Diard, Pascale]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782378802998
Éditeur: L'Iconoclaste
Publié: 2022-08-18T10:06:00+00:00

Il lui restait vingt-quatre heures avant l’arrivée de Romain et de sa copine. Elle devait se mettre au travail sans attendre. Elle enfila un gros pull, remplit d’eau la bouilloire et prit une plaque de chocolat dans l’armoire. Elle fut contrariée en voyant que le feu n’avait pas été préparé dans la cheminée. C’était la consigne, pourtant, de disposer le petit bois et les bûches pour que celui qui arrive n’ait qu’à craquer une allumette. Les enfants auraient tout de même pu y penser lors de leur dernier séjour, c’était le seul détail auquel elle tenait.

Elle commença à remplir un tableau sur son écran. Une date, une cote du dossier, un épisode de l’affaire. Elle avait décidé de reprendre pas à pas toute la chronologie. Pas d’impressions, pas de sentiment, de la méthode. C’était le seul moyen de mettre la pression à distance. Elle devait être horlogère. Connaître chaque pièce, comprendre comment elles avaient été assemblées, inspecter chaque denture de barillet, chaque mouvement de l’oscillateur, chercher le moment où le mécanisme s’était grippé, où le balancier s’était affolé et avait entraîné les aiguilles dans leur course folle.

Deux feuilles du dossier étaient collées. L’une était une photocopie de la photo de classe de Lisa cette année-là. Elle ne l’avait encore pas vue. L’enfance qui s’attardait sur certains visages. D’autres, déjà submergés d’hormones. Lisa était debout, au dernier rang, au milieu de garçons aux cheveux gras et au sourire crâne. Son regard semblait défier l’objectif. Sur le côté se tenait une grande blonde au corps délié, à l’allure juvénile, vêtue d’une veste claire et d’un jean. Alice était sûre que c’était Pauline Valette. Laquelle était Marion, sur la photo ? Cette brunette assise au premier rang, les jambes serrées et repliées sous la chaise, avec un air si sage ? Sa voisine aux paupières closes, qui avait raté l’instant où le photographe avait déclenché l’appareil ? Cette autre fille, dont la frange cachait les yeux ? Celle-là, au deuxième rang, avec ses bras tout raides le long du corps ?

Son regard erra sur l’étagère de la bibliothèque où étaient alignés les albums de famille. Alice les avait apportés dans la maison de l’île quand Romain et Louise avaient quitté le nid. Leurs retrouvailles avaient lieu plus souvent ici, maintenant. De sa place, elle pouvait voir les dates inscrites sur la tranche des albums. Les années d’adolescence défilaient plus vite que les autres. Elle n’avait pas éprouvé le même bonheur à les mitrailler, avec leurs peaux bourgeonnantes et leurs sourires bagués.

Elle repensa à la photo de Marco Lange. À quoi ressemblait-il aujourd’hui ? Il devait avoir ce teint de pierre des détenus. Elle l’imaginait en train de fumer devant la télé, à côté d’un type aussi abîmé que lui, isolé dans le quartier des « pointeurs », le nom qu’on donne en prison aux violeurs. Il s’en était fallu de si peu pour que sa vie bascule.

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