La désobéissance by Alberto Moravia

Auteur:Alberto Moravia [Moravia, Alberto]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 272421059X
Éditeur: France Loisirs

VIII

Ce jour-là était un mercredi, et, pendant les trois jours qui suivirent et plusieurs fois au cours de chacun de ces jours, Luca décida d’aller chez la gouvernante et de ne pas y aller, de s’abandonner à l’amour et de s’y refuser. Une quantité de raisons, et même toutes les raisons, militaient en faveur de l’acceptation ; en faveur du refus, il n’y en avait aucune, sauf son désir désespéré de détruire les liens qu’il avait avec la vie, désir qui, plus qu’une raison, était une sorte de point d’honneur obscurément né et grandi dans le coin le plus secret de son âme. Il devinait, néanmoins, que la gouvernante, par son amour, voulait qu’il vécût, ni plus ni moins que ses parents par leurs cadeaux et son professeur par les devoirs qu’il lui donnait. Et cet amour plaisait à ses sens, comme les cadeaux de ses parents à son avidité et les devoirs de son professeur à son ambition. Tous sur le même plan, sa mère, son père, le professeur, la gouvernante, s’employaient à l’attirer dans la vie, à lui imposer la vie, à le compromettre avec la vie ; et peu importait que les moyens fussent différents et que son père, sa mère et le professeur eussent désapprouvé les moyens adoptés par la gouvernante.

Ce qui l’irritait surtout, c’était que la faim de ses sens l’emportât aussi aisément sur son désir de libération et de mort. À ce moment-là, les chats de la maison, un mâle et une femelle, venaient d’entrer dans la période du rut. La chose était déjà arrivée d’autres fois, mais Luca, à part un regard amusé, n’y avait guère fait attention. Maintenant par contre, après ce qui s’était passé entre cette femme et lui, il lui semblait se reconnaître dans le mâle et reconnaître la gouvernante dans la femelle. Comme ces deux bêtes qui tantôt se poursuivaient, se flairant le dessous de la queue, tantôt s’affrontaient, se regardant fixement et miaulant, et tantôt se chevauchaient, le chat saisissant avec ses dents le cou de la chatte et la chatte se couchant sous le chat, comme ces deux bêtes et de la même manière inconsciemment docile aux commandements de l’instinct, il s’était comporté avec la femme. Ces allées et venues entre la chambre et le salon, ces attouchements, cette invention de prétextes capables de favoriser ces attouchements, qu’était-ce d’autre que la poursuite réciproque de deux bêtes obscurément tourmentées par le désir ? Mais avec celte différence que les chats ne pouvaient se rebeller contre la nature puisqu’ils n’étaient faits que de nature, alors que lui ressentait cette obéissance comme une humiliante passivité et la force qui l’imposait comme un pouvoir arbitraire. D’autre part, s’il cédait à ses sens, quelle raison aurait-il ensuite de ne plus travailler, de se refuser aux douceurs de la propriété et de la vanité, de répudier les affections, de ne pas s’insérer, en somme, définitivement, dans ce monde déjà établi où sa mère, en lui donnant le jour, l’avait introduit ?

Le dimanche arriva au milieu de ces hésitations.

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