Dora by Marianne Pierson-Pierard

Dora by Marianne Pierson-Pierard

Auteur:Marianne Pierson-Pierard [Pierson-Piérard, Marianne]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782931048153
Éditeur: Névrosée
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Un arrêt brusque l’a réveillé. Une gare. Laquelle ? Qu’importe. Il y en a plusieurs au cœur de la nuit, toutes pareilles, avec leurs lumières vives, leurs quais bruyants où tant de gens courent en sens divers. Des voix s’appellent. Roulements, coups sourds, martèlements, halètements des machines. Un suprême énervement où l’on entend des cris d’angoisse. Patrice a honte d’être au chaud dans sa couchette quand des femmes, des enfants, traînent encore sur les quais glacés d’une gare. Trouveront-ils de la place ? Des cris encore. Un bruit confus de machines sous pression, de coups de sifflet, de galopades, et le train s’ébranle. Personne n’est-il tombé sur le ballast ?...

Quand il était petit garçon, les gares le terrorisaient. Il craignait toujours de glisser sur la voie, d’être broyé par le monstre d’acier qui fonçait vers lui du bout de l’horizon.

À nouveau le train roule, et Patrice revient de l’enfant qu’il était à l’homme qu’il est devenu. Qui est-il ? Patrice Dormesson, avocat, quarante ans (il va les avoir, il y touche ; le cap de désespérance, disait sa sœur qui n’en cache pas moins ses rides et ses cheveux blancs), marié, père de famille, situation aisée, rivé à la tâche quotidienne, peu d’ambition, le souci du travail bien fait, du devoir accompli..., pessimiste quand il mesure la fuite du temps et l’inanité de la vie, optimiste quand il prend les heures une à une pour les vivre dans leur plénitude... Car il a le goût de la vie... Et comme pour le récompenser de son zèle, la vie, jusqu’ici ne l’a pas trop meurtri. Mais il tremble, cet optimiste. Il tient à son bonheur. La mort, la maladie restent la rançon des plus heureux... Pessimiste ? Optimiste ? À son âge, peut-on encore être optimiste ?

Quarante ans. Et qu’a-t-il fait de sa vie ? Qu’en fera-t-il encore ? Ah ! Dora l’avait bien houspillé : « Vous voilà presque arrivé aux deux tiers de votre vie et qu’avez-vous fait ? Vous n’avez pas fait le tour du monde, encore moins le tour de vous-même. Vous ne savez pas ce que vous valez. Vous ne vous en souciez pas. Vous vous êtes un jour laissé séduire par un aspect de votre individu et vous l’avez poussé devant vous, comme un pantin. Mais vous savez bien que ce pantin n’est pas vous, qu’il y a d’autres aspirations, d’autres possibilités en vous... »

Bien sûr, il avait rêvé quand il était jeune. Il avait rêvé comme tout le monde. Il avait écrit des poèmes, des articles de revue, le plan d’un roman... À son retour de Majorque, il s’était passionné pour Ramon Lulle, l’Illuminé qui entrait à cheval dans la cathédrale de Palma et mourut lapidé à Bougie. Il avait tenté de ressusciter le personnage en son lointain moyen âge... Minces feuillets qui jaunissaient quelque part dans de vieux cartons... Il s’était aussi intéressé à la jeune peinture, avait présidé un groupe de rapins et organisé de-ci, de-là des expositions qui faisaient hurler le brave monde.



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