Dans un mois, dans un an by Françoise Sagan

Dans un mois, dans un an by Françoise Sagan

Auteur:Françoise Sagan [Sagan, Françoise]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782234075993
Goodreads: 23422640
Éditeur: Stock
Publié: 2014-05-16T04:00:00+00:00


7

ANDRÉ JOLYAU avait décidé de faire sa maîtresse de Béatrice. Il avait reconnu chez elle d’une part le talent, d’autre part cette opacité cruelle de l’ambition et les deux l’intéressaient. Enfin il était sensible à la beauté de Béatrice et l’idée de leur couple satisfaisait chez lui un sens esthétique perpétuellement en éveil. À cinquante ans, il était mince jusqu’à la sécheresse, avec une expression sarcastique un peu rebutante, et de faux gestes de jeune homme qui lui avaient valu un moment une réputation de pédéraste, à demi usurpée, le sens de l’esthétique conduisant parfois, on le sait, à de regrettables écarts ; André Jolyau était un de ces hommes dits « pittoresques » parce qu’ils pratiquent la demi-indépendance, la demi-insolence dans le milieu des arts. Il eût été parfaitement insupportable sans une constante ironie envers lui-même et une réelle générosité matérielle.

Conquérir Béatrice par la voie de l’ambition lui eût été facile. Il connaissait trop ce genre de marchés tacites pour que cela l’amusât. Il décida d’entrer dans une des pièces intérieures de Béatrice et d’y jouer son rôle, qu’il prévoyait comme celui du Mosca de La Chartreuse de Parme, mais un Mosca victorieux. Bien sûr, il n’avait pas la grandeur de Mosca, ni Béatrice celle de la Sanseverina, et seul peut-être ce petit Édouard Maligrasse avait quelque chose du charme de Fabrice. Mais que lui importait ? Il aimait les sujets médiocres. Et ce n’était plus que rarement qu’il retrouvait, devant la médiocrité allègre de sa vie, un grand désespoir domestiqué.

Béatrice donc se trouva prise entre la puissance et l’amour, ou plutôt entre deux images d’Epinal de la puissance et de l’amour. D’un côté Jolyau, ironique, compromettant, spectaculaire, de l’autre Édouard, tendre, beau, romanesque. Elle fut enthousiasmée. La cruauté de ce choix lui faisait une vie merveilleuse, encore qu’elle fût parfaitement décidée en faveur de Jolyau, pour des raisons toutes professionnelles. Cela lui fit prodiguer à Édouard des attentions et des marques d’affection dont il eût dû certainement se passer s’il avait été seul maître du terrain, la vie redonnant d’une main ce qu’elle reprend de l’autre.

Jolyau avait donc accordé sans aucune condition le rôle principal de sa prochaine pièce à Béatrice. Il l’avait même complimentée sur la beauté d’Édouard et n’avait d’aucune manière précisé ses intentions. Mais il avait clairement laissé entendre que si jamais Béatrice quittait Édouard, lui-même serait heureux de sortir avec elle. Cela paraissait un simple espoir courtois, mais c’était plus, car il savait bien que les femmes du style de Béatrice ne quittent un homme que pour un autre. Béatrice, d’abord ravie de ce rôle, fut vite énervée puis inquiète de l’imprécise cour de Jolyau. L’amour d’Édouard devenait fade devant l’indifférence aimable de Jolyau. Elle aimait vaincre.

Jolyau l’emmena un soir dîner à Bougival. C’était une nuit moins fraîche que les autres, et ils se promenèrent à pied sur la berge. Elle avait dit à Édouard qu’elle dînait chez sa mère – protestante austère qui appréciait mal les incartades de sa fille. Ce mensonge, qui lui coûtait pourtant aussi peu que pouvait lui coûter un mensonge, l’avait excédée.



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