Dans la gueule du loup (French Edition) by Anne Ceylan

Auteur:Anne Ceylan [Ceylan, Anne]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2023-12-17T23:00:00+00:00

***

Il appela le room service pour demander de la nourriture et des vêtements. Apparemment, dans ce genre d’endroit, le personnel pouvait livrer n’importe quoi.

Nous fîmes notre toilette et nous emmitouflâmes dans les robes de chambre de l’hôtel avant de nous asseoir à la table du balcon. La journée était déjà bien avancée, et même s’il ne faisait pas très chaud, le soleil était bien agréable.

— Je m’habituerais facilement à la richesse, je crois, déclarai-je en salivant devant le plateau débordant de nourriture qu’il déposa entre nous.

Je tendis la main pour attraper un toast, mais il écarta le plateau avant que j’aie pu le toucher. Je laissai échapper un petit bruit de frustration triste.

— Mon toast…

Il eut l’air sur le point de me le rendre, puis secoua la tête.

— Un marché est un marché. Je veux ton histoire.

— Je demande un payement d’avance, rétorquai-je en croisant les bras.

— Comment savoir si tu rempliras ta part du contrat ?

— Bon, un payement partiel, alors. Les toasts, la confiture, l’omelette et le café.

Il plissa les yeux, comme un négociant suspectant un client de chercher à le voler.

— Les toasts, le café… et le beurre, contre-proposa-t-il.

Je soupirai tragiquement.

— Soit, puisque tu cherches à m’affamer si cruellement.

Il reposa le plateau entre nous, d’une façon qui me laissait à penser que sa petite négociation n’était qu’une plaisanterie et qu’il me laisserait évidemment me servir de tout.

Je mis aussitôt cette idée à l’épreuve en plongeant dans la confiture.

— Quand j’avais quinze ans, déclarai-je sans préambule, mes parents m’ont mis à la porte parce que j’étais gay.

Il me jeta un regard stupéfait.

— Quel rapport ?

— L’homophobie, soupirai-je.

Il mit un temps à comprendre. Il fallait dire que l’homophobie, comme plusieurs autres notions du même type, étaient typiquement humaines, et si peu répandus chez les autres espèces que la plupart n’avaient même pas conscience de leur existence.

— Je croyais que c’était une légende urbaine, avoua-t-il. Ça n’a aucun sens.

— Eh bien, plaisantai-je, la leçon de la matinée sera que les légendes urbaines sont souvent vraies.

— La mienne était mieux.

Je souris en me remémorant la vision de son corps nu et de son air canaille.

— C’est vrai, admis-je sans difficulté. Mais bref, mes parents m’ont mis à la porte. Heureusement, mon petit ami de l’époque, Arnaud, m’a immédiatement accueilli dans sa famille. C’est un vampire, et comme beaucoup de vampires, ses parents faisaient partie d’un nid.

— C’est-à-dire ? s’enquit Alex. Je n’y connais rien en vampires, ils s’entendent extrêmement mal avec les loups-garous.

— Il y a deux types de vampires, expliquai-je. Ceux qui vivent seuls et achètent le sang dont ils se nourrissent, et ceux qui font partie d’un nid. Les nids sont des petites communautés très soudées, tournant généralement entre cinq et dix adultes, comportant une moitié d’humains faisant office de donneurs. La plupart des adultes faisant partie d’un nid entretiennent tous ensemble des relations polyamoureuses, physiques ou platoniques, et leurs enfants sont élevés comme les enfants de tous. Quand ils sont grands, ils partent vivre seuls, jusqu’à décider ou non de fonder leur propre nids.

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