Cookie Jar by Stephen King

Auteur:Stephen King [King, Stephen]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le Livre de Poche
Publié: 2017-04-15T00:00:00+00:00

5

Moira Alderson avait parfois considéré son aîné comme le laborieux de la famille – lenteur et régularité gagnent la course –, mais Pete se mua en comprimé d’Alka-Seltzer après Pearl Harbor. Dès le lendemain, les cheveux fraîchement coupés, il enfila son plus beau costume pour se rendre au bureau de recrutement de l’U.S. Navy. Sa femme l’y encourageait, estimant qu’il serait plus en sécurité à bord d’un grand vaisseau de guerre qu’à affronter les Japonais au corps à corps dans le Pacifique. Le jour où il partit pour Newport News, en Virginie, Pete donna à Jack la montre Bulova que leur mère avait portée en pendentif, avec pour mission de la mettre en lieu sûr. « Parce que je la récupérerai en rentrant », disait-il.

Jack, l’artiste de la famille, s’engagea dans l’U.S. Air Force début 1942, à ses dix-huit ans. La veille de son départ pour l’aérodrome militaire de Hillsborough, en Floride, où il apprendrait à piloter le P-47 Thunderbolt, il donna la montre à son cadet.

« Et le ukulélé ? demanda Rhett.

— T’occupe pas du ukulélé, espèce de gourmand : je le prends avec moi. Porte la montre et remonte-la tous les jours, sinon elle ne sera plus à l’heure. »

Rhett promit. Assis sur son lit, ils mangèrent chacun deux biscuits tirés du pot bleu. Le pot était toujours plein, et les biscuits – du pain d’épice, ce soir-là –, toujours aussi savoureux.

Rhett, devançant un peu l’appel, s’engagea dans l’armée un an et demi plus tard. L’idée de partir à la guerre ne l’exaltait pas, ne lui inspirait aucun frisson, seulement un pessimisme qui confinait à la prémonition. Il était sûr d’être envoyé outre-mer, puis, quand l’inévitable débarquement aurait lieu – peut-être en 1944, peut-être pas avant 1945 ou 1946 –, d’être affecté à la toute première vague d’assaut et fauché par les mitrailleuses ennemies avant d’avoir même cessé de patauger. Il voyait pour de bon son corps se balancer d’avant en arrière entre les vagues, flottant sur le ventre, les bras écartés.

Ce fut dans cet état d’esprit fataliste que, lors de son ultime soir à la maison, il ouvrit le pot à biscuits pour la dernière fois avant presque trois ans. Il n’osa pas le retourner – il s’imaginait enfoui sous une avalanche éternelle de macarons et de sablés –, mais il y plongea les mains, sortit les gâteaux par poignées et les jeta sur son lit : des sablés, des cookies aux pépites de chocolat, d’autres aux flocons d’avoine et aux raisins secs, des boudoirs, des biscuits fourrés aux dattes. Lorsqu’une colline pâtissière se fut formée à sa droite et à sa gauche, il arrêta de piocher et regarda à l’intérieur du pot ventru.

Il l’avait vidé plus qu’à moitié, mais le niveau remontait déjà : les biscuits se soulevaient au centre puis retombaient sur les côtés. Cela rappela à Rhett un cours de sciences naturelles sur la naissance des volcans, suivi au lycée. Bientôt, le pot serait de nouveau plein. Qu’allait-il faire des gâteaux qu’il en avait sortis ? Il y en avait des centaines.

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