Yurlunggur by Ligny Jean-Marc

Yurlunggur by Ligny Jean-Marc

Auteur:Ligny,Jean-Marc [Ligny,Jean-Marc]
La langue: fra
Format: epub
Tags: SF
Éditeur: Denoël
Publié: 1987-01-31T23:00:00+00:00


Puteaux

Flamme tourne en rond dans la cuisine, une cigarette à la main, qu’elle fume avec nervosité. Elle est de plus en plus agacée par l’attitude impassible et stoïque de Joao. Il n’a rien fait pour l’aider à retrouver Fox : il n’a pas modifié sa vie d’un iota depuis la catastrophe, répétant les mêmes gestes lents et mesurés, accomplissant chaque acte comme un élément d’un rituel compliqué dédié à la vie quotidienne. Et tout cela dans le silence – ou plutôt sous l’emprise perpétuelle des bruits de la ville autour de la maison. Pas de musique, même pas une radio. Pas une visite, alors que Flamme s’attendait à un défilé permanent de clients, une avalanche de cocaïne. Fox n’était tout de même pas le seul client de Joao ?

Flamme écrase d’un coup de talon sa cigarette sur le plancher vermoulu. Elle fixe d’un air furieux Joao occupé à peindre des lignes abstraites sur un morceau de bois. Il relève la tête et capte son regard chargé de colère.

— Tu n’as rien de mieux à faire ? attaque Flamme.

— Non.

— Non ? Tu t’en fous de Fox, hein ? Qu’il soit vivant ou mort ? Pour toi, ce n’était qu’un vulgaire client !

Flamme fait des efforts visibles pour se contenir.

— Je t’ai déjà dit…, commence Joao.

— Je sais ! Mais ça ne me suffit pas ! J’ai besoin d’en savoir plus, Joao, tu comprends ?

— Eh bien, va te renseigner. Achète un journal.

— J’ai pas un rond ! (Joao ne répond pas ; il revient à sa peinture. Flamme soupire, se radoucit.) Si tu pouvais me prêter cinquante ou cent balles…

— Non.

— Pourquoi ? s’emporte-t-elle à nouveau. Ne me dis pas que tu n’en gagnes pas assez ! Qu’est-ce que tu fais de tout ce blé, d’ailleurs ? Pourquoi ne vis-tu pas dans un appartement décent ?

— J’achète cette maison, répond Joao, penché sur l’élaboration de fines hachures dans le morceau d’écorce d’eucalyptus.

— Quoi ? Cette baraque pourrie ? Mais t’es cinglé !

— Il est prévu une rénovation du quartier, et je ne veux pas que ce lieu soit détruit.

— Pourquoi ? C’est là que ta grand-mère est morte ?

— Non, c’est là que… (Joao s’interrompt, jette à Flamme un curieux regard, et revient aussitôt à sa peinture.) C’est un lieu sacré, achève-t-il.

Malgré elle, Flamme éclate de rire.

— Plutôt crasseux, ton lieu sacré ! Alors derrière cette porte, c’est le temple ? C’est pour ça que je n’ai pas le droit d’entrer ?

— Ne revenons pas là-dessus, dit Joao, trempant son pinceau dans une ocre jaune granuleuse.

— D’accord. Alors, tu peux me prêter cent balles ? Je te les rendrai, évidemment.

— Non. Tu as de l’argent.

— Mais non ! Je te dis que je suis…

— Si. Chez toi. Dans la plinthe du couloir.

Flamme reste un instant sans voix.

— Comment sais-tu…

Joao sourit, et montre son ombre sur l’armoire bancale. Flamme contemple fixement l’ombre, comme si elle pouvait lui en dire plus.

— Je ne peux pas retourner là-bas, murmure-t-elle en secouant la tête.

— Pourquoi ? demande Joao avec un franc sourire.



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