Y a-t-il un français dans la salle ? by San-Antonio

Y a-t-il un français dans la salle ? by San-Antonio

Auteur:San-Antonio
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman contemporain
Éditeur: 12-21
Publié: 2013-05-14T16:00:00+00:00


XXXV

De même qu’il s’est livré à une espèce de danse incantatoire avant de se décider à monter, de même il en exécute une autre avant de se décider à partir.

Le voici de nouveau au pied de l’immeuble menaçant, si haut, si fragile, criblé de lumières. Et il ne se résout pas à s’en éloigner, parce que cet immeuble la contient. Il est l’ostensoir brillant où elle est placée pour rayonner sur le destin du Président. Et comme il la vénère, il vénère tout ce qui l’approche, tout ce qu’elle touche ou voit. Il vénère ce grand ensemble et sa faune harassée, il vénère l’esplanade galeuse qui l’entoure, et plus encore toutes les fenêtres illuminées comme autant d’étoiles de crèche. Il vénère la sinistre banlieue aux odeurs nocives. Il vénère l’horizon rébarbatif, où se découpent des usines et des gazomètres, des châteaux d’eau, des toits de poésie noire et où les nuages sont semblables à d’énormes ballons en dégonflade.

Il vénère son amour, le Président Tumelat, ce bel amour si tardif, mais si puissant, combien insolite ! Alors il se rapproche de la gigantesque bâtisse que la nuit embellit en l’effaçant, mais qui est si laide au soleil, avec ses matériaux d’économie et ses fadasses couleurs pour camouflage. Il s’approche de la bâtisse, pose ses mains à plat dessus le crépi rêche, comme un homme qu’on fouille. Et il touche la peau de l’immeuble avec ferveur, s’imaginant que c’est celle de Noëlle, la gamine élue, la gamine régnante. Et il applique sa joue contre le ventre de l’immeuble, à l’écoute de sa respiration à elle, là-haut, quelque part, cachée dans un alvéole de la ruche. Et puis se met à lui parler à voix chuchoteuse. À lui répéter qu’il l’aime, et qu’elle est sa souveraine, son italienne, sa maman, sa petite pauvresse de bonheur, son enchantement, sa mission. Il dit les mots qui lui giclent de l’âme, comme moi, l’auteur de Jallieu, je disais d’autres mots aux pierres froides de l’église où l’on avait porté le corps de ma vieille morte menue, la nuit d’avant qu’on l’enterre ; la nuit d’avant le froid instant depuis toujours prévu et redouté où on l’a laissée glisser dans un trou rectangulaire, aux parois bien nettes, je me demande comment.

Oui, il a besoin de s’épancher, besoin de ne pas conserver tout entier le monceau de tendresse qui l’écrase. Il sait à quel point demain sera long à venir. Une vieille et grosse femme en forme de tonneau arrive en se dandinant, noire et charriant un cabas bondé. Elle marque un temps de surprise devant cet homme appuyé au mur par ses deux mains à plat et qui parle au sale crépi couleur de vilaine merde. Pense qu’il dégueule en ce dimanche soir. S’étonne pourtant de ce qu’il est bien mis : pas endimanché, non : élégant. D’une élégance coûteuse. Et les riches élégants n’ont pas pour coutume de dégobiller au pied d’une H.L.M.

Le Président réagit, la pudeur étant chevillée aux individus. Il sourit à la vieille femme qui, vaguement rassurée, continue d’aller vers la porte.



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