Voyage dans le cristal by George Sand

Voyage dans le cristal by George Sand

Auteur:George Sand
Format: epub


Mes regards se fixèrent sur le rayonnement du traîneau conducteur, et je ne trouvai rien d’extraordinaire à ce qu’il fût porteur d’un puissant fanal alimenté par l’huile de phoque, dont les indigènes savent tirer un si bon parti. N’était-il pas insensé de croire qu’un diamant pouvait briller dans la nuit comme un phare, et la chaleur agréable que j’éprouvais en dépit du climat n’était-elle pas probablement due à une disposition physique particulière ? Quant à l’horrible scène du navire, elle était dénuée de toute vraisemblance. Mon oncle, bien que sévère, avait jusque-là montré à son équipage autant d’équité que de sollicitude. Nos compagnons avaient bien pu s’enivrer pour fêter le début de leur hivernage, j’avais pu les voir endormis dans l’entrepont ; mais l’horreur de leur mort, les paroles insensées et cruelles de mon oncle, ses conventions inouïes avec les Esquimaux, enfin, et plus que tout le reste, l’apparition subite de Laura sur le Tantale, au fond des mers polaires, tout cela était marqué au coin de l’hallucination la plus complète.

La pensée que j’étais sujet à des accès de folie me jeta dans une grande tristesse ; je résolus de veiller sur moi-même et de faire les plus grands efforts pour m’en préserver.

Un événement des plus positifs acheva de me rendre la notion du réel. Nous faisions halte dans un îlot, sous l’abri d’une magnifique grotte de rochers ; nous étions sortis du chenal glacé de la banquise. Mon oncle descendit du traîneau qui marchait devant moi ; je me hâtai de regarder le personnage qui sortait du traîneau qui marchait devant lui, et, en voyant la taille et les traits d’un affreux nain taillé en hercule tronqué, je ne pus m’empêcher de rire tristement de moi-même. Je demandai intérieurement pardon à Laura d’avoir vu son spectre sous cette grotesque figure d’Esquimau, et j’attendis qu’on vint me délier ; car j’étais bien véritablement garrotté par de solides courroies à mon lit ambulant.

– Eh bien, me dit gaiement mon oncle pendant que nos gens allumaient le feu et préparaient le repas, comment te sens-tu maintenant ?

– Je ne me suis jamais mieux porté, lui répondis-je, et je crois que je vais manger de grand appétit.

– Ce sera donc la première fois, depuis deux mois que nous avons quitté le navire, reprit-il en me tâtant le pouls ; car, si je ne t’eusse alimenté de bon bouillon en tablettes et de thé bien chaud, tu serais mort de faim, tant la fièvre t’ôtait la conscience de ta propre conservation. J’ai bien fait de t’attacher solidement et de fixer la longe de tes chiens à mon traîneau, tu te serais perdu en route comme un paquet. Enfin te voilà guéri, et tu ne me parleras plus, j’espère, de navire abandonné, d’équipage détruit par un poison frénétique, ni de ma fille cachée à bord dans une malle et condamnée à nous servir de guide vers le pôle arctique.

Je demandai pardon à mon oncle des sottises que j’avais pu dire dans la fièvre, et je le remerciai des soins qu’il m’avait donnés à mon insu.



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