Voir by Carlos Castaneda

Voir by Carlos Castaneda

Auteur:Carlos Castaneda [Castaneda, Carlos]
La langue: eng
Format: epub
Éditeur: Gallimard
Publié: 2011-11-24T07:59:11+00:00


lèrent sur nous soudainement, pendant que ma mère

attirer mon attention don Juan poussa ma cuisse de la

faisait à manger. C'était une femme sans défense. Sans

pointe de son pied. Il me dit qu’il « voyait » une lueur

aucune raison, ils la tuèrent. Qu'elle soit morte de cette

de violence autour de moi et qu’il se demandait si je

manière ou d'une autre, ça ne fait pas vraiment de

n’a lais pas me jeter sur lui pour le réduire en pièces. Il

différence, pas vraiment, et pourtant pour moi ça en fait

déclara que je me laissais aller à des accès de violence

une. Je suis incapable de te dire pourquoi, c’est comme

mais que je n'étais pas vraiment méchant, et que la

ça. Je pensais qu’ils avaient aussi tué mon père; mais

plupart du temps cette violence se retournait contre

non, il était seulement blessé. Ils nous amenèrent dans

moi-même.

un wagon, nous y poussèrent comme du bétail, puis il

« Don Juan, vous avez raison.

fermèrent la porte. Pendant des jours et des jours ils

– Bien sûr », dit-il en riant.

nous laissèrent là, dans le noir, comme des animaux,

Il me pressa de parler de mon enfance. Je commençai

nous jetant de temps à autre quelques morceaux de

par lui raconter mes années de solitude et de peur, et je

nourriture pour nous maintenir en vie.

m'engageai dans la description de ce que je pensais

« C'est dans ce wagon que mon père mourut des

avoir été mon combat accablant pour survivre et « con-

suites des ses blessures. Avec la douleur et la fièvre il

server mon esprit ». Cette métaphore l'enchanta et il

commença à délirer, et il ne cessait de me dire qu'il

éclata de rire.

fallait que je survive. Il continua de me répéter cela

Je parlai pendant longtemps. Il m’écoutait avec une

jusqu'à son dernier souffle.

expression très sérieuse sur son visage. Brusquement

« Les autres s’occupèrent de moi. Ils me donnèrent à

ses yeux « m'étreignirent » à nouveau, et je m’arrêtai de

manger. Une vieille rebouteuse remit en place les os

parler. Après un certain silence, il déclara que personne

cassés de ma main. Et comme tu peux t’en rendre

ne m'avait humilié, ce qui expliquait que je ne sois pas

compte, j'ai survécu. Pour moi, la vie ne fut ni bonne ni

réellement méchant.

mauvaise, la vie fut difficile. La vie est difficile, et pour

« Tu n'as pas encore été vaincu », dit-il.

un enfant c’est parfois horrible »

Quatre ou cinq fois il répéta cette phrase, et je me

Pendant très longtemps nous restâmes silencieux, au

sentis obligé de lui demander ce qu'elle signifiait. Il

moins pendant une heure. Des sensations très confuses

expliqua que le fait d'être vaincu était une condition

m'agitaient. Je me sentais abattu et cependant je n’au-

inévitable dans une vie. Les hommes étaient soit victo-

rais pas pu dire pourquoi. Le remords me rongeait. Peu

rieux, soit vaincus, et selon le cas ils devenaient bour-

avant j'avais pensé m'amuser en dupant don Juan, mais

reaux ou victimes. Ces deux conditions prévalaient tant

avec son récit il avait retourné la situation. Son récit –

qu'on ne « voyait » pas. « Voir » chassait l'illusion de la

simple, concis, avait éveillé d'étranges sensations en

victoire, de la défaite, de la souffrance. Il ajouta que je

moi.



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