Viou by Troyat Henri

Viou by Troyat Henri

Auteur:Troyat, Henri [Troyat, Henri]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


8

Prise d’une soudaine angoisse, Sylvie demanda :

— Pourquoi le train n’arrive pas ?

— Il a dix minutes de retard, dit grand-père. Ce n’est pas grave.

Son assurance tranquillisa Sylvie. Elle lui savait gré de l’avoir emmenée à la gare, tandis que grand-mère, Ernestine et Angèle s’affairaient à la maison. Pour le déjeuner, on mettrait, selon l’expression d’Angèle, « les petits plats dans les grands ». Le dessert serait une île flottante. Cette appellation poétique ravissait Sylvie. Elle en avait déjà l’eau à la bouche. Depuis ce matin, sa chambre était devenue la chambre de maman, avec une azalée en pot sur la table de chevet. Toute la vieille bâtisse respirait le bonheur. Mais ce train qui n’arrivait pas !… À deux pas de grand-père et de Sylvie se tenait François, le nez gros et l’œil vague. Grand-père l’avait fait venir pour porter les valises. Il y eut un remous parmi les nombreuses personnes qui attendaient sur le quai. Les têtes se tournèrent toutes dans la même direction. Très loin, une locomotive de jouet, noire, minuscule, empressée, glissait à travers un paysage nu et froid. Soudain, devenue énorme, elle entra dans la gare, tel un torrent de fer. Sa cheminée et ses flancs crachaient une vapeur blanche. Les oreilles emportées par le vacarme, Sylvie se serra craintivement contre son grand-père. Le sol tremblait sous ses pieds. La locomotive, aux bielles puissantes, passa lentement devant elle, les premiers wagons défilèrent. Des figures ensommeillées se montraient aux fenêtres. Était-il possible que maman se trouvât parmi tous ces inconnus ? Le train s’arrêta en soufflant et grinçant, les portières s’ouvrirent, les voitures se vidèrent de leur contenu bariolé. Un flot de voyageurs se hâtait vers la sortie. Avec anxiété, Sylvie interrogeait ces visages aux yeux fixes, portés par le même courant.

— Elle n’est pas là ! Elle n’est pas là ! répétait-elle, désespérée.

Brusquement, la foule s’écarta, tous les étrangers disparurent dans une trappe, il n’y eut plus au monde qu’une femme au regard étoilé qui ouvrait les bras à Sylvie.

— Maman !

— Viou !

Sylvie se jeta contre sa mère avec tant de force que toutes deux chancelèrent. Le bonheur éclatait dans sa tête en fanfare. Elle avait retrouvé sa source. Collée à maman, elle avait envie de s’enfoncer en elle, de se perdre en elle, de la boire. Enfin, elle s’écarta un peu pour la regarder. Le temps d’un clin d’œil, elle nota la redingote noire aux épaules larges, à la taille menue, le sac en bandoulière, les chaussures à semelles compensées en liège. Mais le plus étonnant, c’était ce visage d’une finesse presque irréelle, ces larges yeux couleur de noisette débordant de lumière, ce sourire de tendresse ironique, qui creusait deux fossettes aux commissures des lèvres. Sans conteste, elle était la plus belle femme du monde. Sylvie regretta qu’aucune de ses amies de classe ne fût auprès d’elle pour voir sa maman. Elles en seraient tombées sur le derrière, tout éblouies. Grand-père enleva son chapeau et embrassa délicatement sa belle-fille sur les deux joues. François empoigna la valise, la mallette de maman et partit devant, sans fléchir les épaules.



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