Vie et mort des Nations by Alain Pons

Vie et mort des Nations by Alain Pons

Auteur:Alain Pons
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782072579844
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2015-10-16T00:00:00+00:00


La nature poétique des premiers hommes et la poésie sublime

Quand Vico écrit que « les premiers peuples du monde païen furent poètes », on voit tout de suite que le mot « poète » ne désigne pas l’écrivain qui pratique un genre littéraire particulier, un « art » ayant ses règles et son histoire. Cet art, il l’a lui-même pratiqué, enseigné, et longuement analysé, notamment dans les œuvres de ceux qui furent pour lui les plus grands poètes, Homère et Dante. Mais il donne à la notion de poésie une signification et une extension beaucoup plus vastes, et applique le qualificatif « poétique » à des domaines qui excluent toute référence directement artistique, nous dirions aujourd’hui esthétique. L’erreur, note-t-il dans le De constantia, est d’avoir pensé que la langue poétique avait toujours été la langue particulière des poètes, et non pas une langue commune à tous les hommes35.

La poésie est en effet pour lui la faculté qu’a l’homme d’appréhender le monde avec les premiers instruments dont la nature l’a doté, à savoir les premières modifications de son esprit, sensation, imagination et mémoire, l’entendement n’intervenant que plus tard. Ces instruments, singulièrement vigoureux chez les premiers hommes, ne disparaissent pas, mais s’affaiblissent au fur et à mesure que ces derniers deviennent plus réfléchis. Cependant, certains privilégiés les conservent dans leur vivacité première, et ce sont les grands poètes, comme Dante, qui vivait dans ce que Vico nomme une époque de « barbarie revenue », ou comme Virgile, né en des temps de haute civilisation. Mais dans les temps primitifs tous les hommes sont poètes, et leur appréhension du monde relève de ce que Vico appelle une « sagesse poétique », une sagesse non pas raisonnée et abstraite, mais sentie et imaginée.

Le monde dans lequel ces hommes se trouvent est le monde de la nature physique, avec lequel ils ont rapport par la sensation et l’émotion qu’il éveille en eux, comme chez les animaux. Mais ce que les animaux ne possèdent pas, c’est l’imagination, dont Vico nous demande d’admettre que ces premiers hommes l’ont conservée, puisqu’il la dit innée en eux, et cela malgré l’état d’abêtissement dans lequel ils sont tombés. Les animaux sont terrorisés par le tonnerre, mais cette terreur ne les amène pas à inventer les dieux. Chez les hommes, l’imagination est mise en branle par l’ignorance des causes, qui est la mère de leur étonnement devant toutes choses36. Cette incapacité à percevoir des liens de causalité rationnelle entre les choses et les événements, et à établir entre eux une mesure objective, les conduit à tout ramener à eux-mêmes, et à voir le monde, et en particulier ce qui les étonne dans ce monde, à travers leur propre subjectivité, leur sensibilité et leur imagination : ils donnent alors à ce qui les étonne l’être de substances d’après l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes. Ils ressemblent, nous le savons, à ces enfants qui prennent entre leurs mains des choses inanimées et jouent avec elles en leur parlant comme si elles étaient des personnes vivantes37.



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