Vérité et existence by Jean-Paul Sartre

Vérité et existence by Jean-Paul Sartre

Auteur:Jean-Paul Sartre
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2017-04-14T16:00:00+00:00


C'est en outre, nous l'avons marqué tout à l'heure (§ I), le refus d'être mis en face de ses responsabilités. Puisqu'en effet, l'Être apparaît, par principe, comme ce dont nous avons à assumer la responsabilité sans l'avoir voulu, le Pour-soi peut projeter de voiler l'Être pour ne pas être obligé de l'assumer. Comme bourgeois je veux ignorer la condition du prolétariat pour ignorer que j'en suis responsable. Comme ouvrier, je puis vouloir ignorer cette condition parce que j'en suis solidaire et que son dévoilement m'oblige à prendre parti. Je suis responsable de tout devant moi et devant tous et l'ignorance vise à restreindre ma responsabilité dans le monde. Ainsi la géographie de mes ignorances représente exactement dans le négatif la finitude de mon choix d'être. Ignorance = refus de responsabilités. Et réciproquement : moins on a de responsabilités, moins on a besoin de savoir ; c'est-à-dire : si la société vous met dans une situation où les responsabilités vous sont ôtées (la femme « entretenue »), vous n'avez aucun souci de la Vérité ; vous tenez les vérités des autres comme vous tenez des autres votre argent. L'ignorance de la femme n'est pas pur et accidentel manque d'instruction : elle lui vient du dehors et l'altère au-dedans comme privation de toute prise sur le monde. En échange on lui donne (dans les cas favorables) au moins l'illusion d'un contact non médié entre son désir et le désirable. Quel est donc à ce niveau le monde idéal projeté par la volonté d'ignorance ?

1) Ce qu'on ne sait pas n'existe pas.

2) Ce qu'on sait n'existe que dans la mesure où on le sait.

3) On choisit à son gré de savoir ou de ne pas savoir.

Donc l'ignorance est souhait d'un monde où dévoilement = création. Elle renverse la formule de la Vérité : crée ce qui est. Elle postule que rien n'est que ce qu'on crée. Elle postule donc

1) que le désir est le moteur universel de création et qu'il est création du désirable ;

2) que le désirable est dans l'élément de l'En-soi. Autrement dit, il tombe en dehors du Pour-soi dans l'Être. Il a le moment de l'autonomie.

3) Mais il est récupéré par l'assouvissement du désir et devient événement de l'esprit. Il rentre dans le Pour-soi. Ce [47] texte de Valéry dans le premier numéro d'Arts et métiers graphiques : « LA LISIBILITÉ EST LA QUALITÉ D'UN TEXTE qui en prévoit et en facilite la consommation, la destruction par l'esprit, la transsubstantiation en événement de l'esprit. » Il suffirait, pour avoir la maxime de l'ignorance, de remplacer lisibilité par digestibilité et texte par monde. Du coup, le moment de la responsabilité est limité au stade de l'indépendance de l'Être et aussitôt supprimé par assimilation de l'Être à l'esprit.

Autrement dit, l'ignorance est la nostalgie de l'absolu-sujet hégélien comme pure conscience unique produisant le monde par dévagination et le réincorporant par réinvagination. L'ignorance, c'est le refus d'avoir des responsabilités, sauf vis-à-vis de soi-même. Et ce refus s'accompagne nécessairement de l'esquisse d'un monde positif de l'absolu-sujet : le monde du rêve.



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