Vacances by Inconnu(e)

Vacances by Inconnu(e)

Auteur:Inconnu(e) [Inconnu(e)]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2015-04-30T16:59:51+00:00


VII

Les quatre saisons

Singulières vacances encore que celles qui nous menèrent fin 1943, ma femme, ma fille et moi, dans une ferme de la Haute-Vienne. On nous avait conseillé ce « coin tranquille » ; il n’a tenu qu’au hasard que nous ne choisissions Oradour.

Sortir d’une gare était pour Else un danger de mort, un mot pouvait la perdre. J’admirais son sang-froid tandis que les policiers examinaient sa fausse carte d’identité. L’étoile de David était suspendue sur elle, sur nous ; nous marchions dans sa lumière de soufre. Else traversait les barrages avec l’insouciance, le fatalisme qu’on dit être celui de son peuple, et comme absente.

Nous vivions dans une de ces sortes de rêves où le persécuteur se change brusquement en objet, où les coups du cœur deviennent silence. L’instant d’après nous allions sur la route, uniquement préoccupés du poids des valises.

Les catastrophes ont ceci de bon qu’elles brisent avec nos habitudes ; sortant d’une ville affamée nous retrouvions une abondance que, depuis trois ans, nous ne connaissions plus que dans nos songes.

Je ne me lassais pas de voir les œufs serrés en grappes dans le compotier, les bassines pleines de lait crémeux, les gigots de mouton tranchés à la hache dans les étables d’où nous sortions à la brune comme des assassins. Les natures mortes prenaient vie.

Et il y avait la Glane et la Vienne, les matins perlés où l’eau fume sous les peupliers, les longues balades dans la douce campagne limousine, notre étonnement d’habitants des villes qui découvrent les quatre saisons, chacune avec sa tente et son pavillon. Nos fenêtres s’ouvraient sur le spectacle d’un monde toujours nouveau : la rivière tournant entre deux plis de terre, la route de Saint-Junien craquante et blanche en hiver, frissonnante en été.

Dans la folie grondante il y avait ce refuge avec ses oiseaux, ses lumières, son ciel, avec sa pureté et sa douceur originelles miraculeusement protégées. Il nous était permis une fois encore de goûter à la splendeur du monde.

L’homme, ailleurs hideux et n’ayant dans son sang que la haine, ne nous approchait que sous son apparence la moins inquiétante : il se souciait du temps, de la récolte. Nous ne voyions autour de nous que des gens penchés sur les prés, allant d’un pas assuré d’un champ à l’autre, ratissant trèfle et luzerne, fendant le bois, nourrissant les bêtes.

Singulières vacances, mais vacances tout de même. Et avec le recul, l’apaisement, l’un de mes meilleurs souvenirs.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.