Une transaction secrète. Lectures de poésie by Philippe Jaccottet

Une transaction secrète. Lectures de poésie by Philippe Jaccottet

Auteur:Philippe Jaccottet
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2015-01-14T16:00:00+00:00


Et le cycle de l’Arménie par lequel, en octobre-novembre 1930, à Tiflis, un mutisme de près de cinq ans est déchiré comme par l’éclat jubilant d’une trompette de Gabrieli ? Il me semble y trouver le pendant diurne, solaire, du nocturne de 1921 trop lourdement commenté au début de ces notes : le même heurt, mais joyeux, contre la réalité éclatante du dehors, le corps du monde. Là aussi, l’univers qui entre dans le corps, mais par le bonheur… Et tous ces thèmes pour s’enchaîner en une sorte de sauvage alléluia : le bleu du ciel et l’ocre de l’argile, les paroles et les poteries, le lion et l’oiseau, la rose et la neige, les chevaux, l’eau bondissante, la montagne fraîche…

Lisant ce cycle et la prose du Voyage en Arménie (dans la belle traduction parue au Mercure de France), je ne puis m’empêcher de penser à ce que Rilke écrivait dans une lettre à Ellen Delp du 27 octobre 1915, à propos de Tolède où, selon lui, miraculeusement, « la réalité extérieure : tour, montagne, pont, comportait déjà en elle-même l’intensité inouïe, insurpassable des équivalents intérieurs à l’aide desquels on aurait aimé la figurer ». Oui, je crois que l’Arménie a été alors pour Mandelstam la figure réelle du paysage entrevu dans l’Ode écrite au crayon d’ardoise et dispersé ailleurs, si violemment désiré ; d’où la jubilation de cette rencontre et des deux œuvres qui en sont nées. Ce fut vraiment le « pays sabbatique », plus que cela, la Terre promise entrevue avant de retrouver, au retour, Leningrad sinistrement noire et jaune et la suite funeste des années jusqu’à la pire mort. C’était d’abord un pays solaire, comme cette Tauride d’anciens poèmes capable de hâler en peu de jours le bras d’une femme aimée (et pour Mandelstam comme pour les anciens Grecs, « Le royaume des morts ignore / Le hâle des bras gracieux »). Un pays où même le froid détesté et la neige donnaient joie. Et surtout, de nouveau, un pays de montagne aride, de commencement du monde, de couleurs intenses, vives (comme celle des coloriages d’enfants ou de ces peintres français qu’il courra revoir au musée Pouchkine à peine revenu de Voronèje à Moscou, en 1937), un pays d’enfants jouant parmi les tombes, un pays à la langue griffue comme outils de forgeron, un pays de bergers et de cavaliers. Qu’on relise maintenant les pages du Voyage en Arménie où Mandelstam évoque son excursion à cheval vers le mont Alaguez ; elles sont une des clefs de son œuvre et n’associent pas par hasard à la passion de la montagne le « petit-lait du silence » autour des campements de troupeaux et l’espèce de fière ivresse de la chevauchée, devenue modèle de langage et modèle de vie :



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